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Les mots qui libèrent. Khaled Miloudi

 

L’autre samedi matin, vers 6H00 sur France Inter, j’ai entendu — et aussitôt écouté toutes affaires cessantes — l’interview d’une personne, dont je n’ai d’abord pas bien saisi le nom, qui m’a paru, dès le premier contact, vraiment remarquable. La voix était chaude, bien posée, on avait envie de l’écouter, sympathiser comme l’on fait lors d’une belle rencontre.
De qui s’agissait-il ?… D’un ancien braqueur, qui avait écopé de 45 ans de réclusion criminelle, et était devenu poète en prison, lauréat depuis de plusieurs prix de poésie.
" Ce personnage est tout sauf un enfant de chœur, témoignait un policier. Avec lui, ça s’est passé mal à chaque fois. À coups de flingues, d’hélicoptères, de courses-poursuites… Ça sentait l’essence, le feu, l’huile déversée sur la chaussée… Il a fini en tee-shirt, a fait cinquante bornes en courant dans la campagne suite au braquage du Crédit du Nord de Lille…"
Libéré définitivement en janvier 2021, Khaled Miloudi — car il s’agit de lui, j’ai fini par retrouver son nom — raconte comment l’écriture l’a sauvé : "Mon âme était libre".
 
Je retranscris fidèlement ci-dessous son récit plein d'émotions :
 
 
" … J’ai été condamné à 45 ans de réclusion criminelle. J’avais 47 ans. C’était une condamnation à mort, sauf que c’était une mort lente. Les 10 premières années, j’étais dans la violence, le ressentiment, la haine, la rage… J’étais exilé vers mes côtés les plus sombres quoi. Je faisais 4 à 6 heures de sport par jour. J'avais l’impression que j’étais devenu une coquille vide. J’avais même du mal à lire. En 2012, ils m’ont ramené, la Cour d’appel de Moulins a ramené mes peines à hauteur de 30 ans. 30 ans, il y avait encore de l’espoir, parce que j’avais déjà une dizaine d’années de faites, et sur 30 ans, c’est 15 ans. 
 
" J’ai commencé à écrire, des petites bribes comme ça sur des cahiers, que je ne faisais pas partager mais que je gardais pour moi comme ça. Et après il y a eu mon transfert sur Poissy, et là il y a eu un déclic, avec ma prof de théâtre. Je suis allé par curiosité comme ça, je me suis inscrit au centre scolaire, et puis j’étais dans son cours de littérature, je me suis assis au fond de la salle, et puis j’écoutais. Je suis revenu le lendemain. J’étais au fond de la salle, je me faisais tout petit, je ne voulais pas intervenir. Elle m’a fait lire et paf! quand j’ai lu, petit à petit elle me disait que je lisais bien, et elle m’encourageait.
 
" Je me suis pris au jeu avec les grands auteurs. J’ai commencé à lire, à voyager aussi, beaucoup, avec les livres. J’ai pu remplir ma boîte à mots, j’appelle ça ma boîte à mots, elle était pas trop remplie, et au fil des lectures je la remplissais. Et après c’était plus facile, j’allais chercher des mots dans ma boîte à mots, des mots pour parler de ma solitude, des mots pour parler de mon enfance, des mots pour dire Je t’aime. Donc j’ai commencé à écrire des textes, des nouvelles… et après la poésie, ça a été un déclencheur aussi.
 
" Quand j’ai vu que j’ai commencé à être reconnu par des poètes, par des grands poètes, quand on m’écrivait on me disait Cher confrère…, et puis cette aventure extraordinaire aussi, Caligula [de Albert Camus]… je ne pensais pas qu’un jour je serais capable d’apprendre… pendant 1 an j’ai appris des textes, et pendant 2 heures 1/2 je déclamais du texte… et cela aussi je peux dire que ça a été les 2 éléments déclencheurs de cette reconversion poétique et littéraire.
 
J’ai la prison incrustée
dans tout le corps
dans le cervelet 
des milliards de secondes
comme des tumeurs
à enlever
 
Qu’est-ce que ça a changé dans votre incarcération la découverte de l’écriture, de la poésie ?
 
" Du jour au lendemain, ça a été la fin de mon isolement. Depuis 2013-2014, mon âme vagabondait partout. Je faisais rentrer la mer, l’amour, le soleil, tout ce qu’un homme a besoin, ce qu’un être humain a besoin dans la vie, je le faisais entrer dans ma cellule, grâce à l’écriture et à la lecture… et ça a été un bouleversement, une révolution intérieure. Le temps qui jouait contre moi, on est écrasés les détenus par ce temps qui s’égrène, où on voit les heures et les secondes arriver toujours à terme, parce qu'on est là. À l’inverse, dès que j’ai commencé à écrire et à lire, je ne vivais plus au rythme de la prison… Quand le repas passait, je pensais à écrire… Non, non, c’est bon, je ne veux rien. C’est bon, merci… J’étais dans ma bulle quoi. Et donc là le temps, il ne m’oppressait plus, c’est moi qui détenais le temps, j’étais devenu le maître du temps.
 
" — Khaled, t’étais où ?— J’écris ça… Et je regardais les regards envieux de mes co-détenus. Autant au début ils me prenaient pour un hurluberlu… la poésie en plus, avec mon parcours, si encore ç’aurait été la boxe… parce que pour eux, comme pour les surveillants… c’est pas possible. Mais à force de passer, de me voir écrire 1 jour, 2 jours, 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans, 5 ans… à un moment donné ils ont été obligés de marquer dans leurs feuilles : II passe son temps à écrire... Parce que des fois, tellement j’étais poursuivi par les mots, je fermais les yeux, j’avais quitté la salle d’écriture, j’allais me coucher, et même des fois aussi dans la nuit, je me réveillais, j’ouvrais mon cahier de poésie et il y avait un mot qui n’avait pas sa place. Et dans la nuit, c’est arrivé je t'assure, alors que le poème je l’avais écrit il y a quelque temps, je revenais et je rectifiais le mot. C’est-à-dire que le matin j’étais poursuivi par les mots.
 
" Et même quand je rentrais en cellule j’étais content de rentrer en cellule, des fois j’étais pressé que la promenade se termine, parce qu’il y avait eu un échange ou quelque chose, une fulgurance que j’avais besoin de coucher, je n’avais pas pris mon calepin, et j’étais pressé de rentrer pour écrire, mon âme était libre. Tout s’ouvre, comme si j’avais des oeillères et d’un seul coup tout s’est ouvert. Et après, j’étais capable de méditer paisiblement les mots, pour mieux écrire le soir, pour mieux aimer la vie, alors que j’étais en prison, il n’y avait pas de vie, mais j’ai commencé à vraiment aimer la vie quand j’ai écrit, quand je lisais. En étant prisonnier, c’est fou de ressentir ça, et voilà, je suis heureux quoi. Je suis heureux, j’aime les gens, j’aime la vie, je suis épris de liberté, moi ça me parle, ça vous change un homme.
 
En prison tout est fait pour tuer toute humanité ...
 
" Le désir, l'envie de changer, l'envie d'être meilleur, de se consacrer aux autres, toutes ces choses qui peuvent vous porter... tout est fait en prison pour vous spolier de ça quoi. On vous spolie de votre humanité. Moi j'ai des potes, je pouvais comprendre, qui n'attendaient qu'une chose, sortir pour se venger quoi, tellement on les faisait souffrir. Parce que en prison, on survit. Et donc lire, écrire, créer, c'était affirmer son existence. Je suis un numéro d'écrou, mais non je ne suis pas qu'un numéro d'écrou, je suis dans une cellule depuis des années et encore pour des années, mais je suis là quoi, j'existe. 
 
" Après tout ça, malgré tout ça, je peux, moi, transmettre quelque chose. Le dernier chapitre de ma vie, c'est moi qui vais l'écrire, et là je prends mon temps, je veux que les phrases soient belles, comme les bons vieux jardiniers je ratisse large, pour que les phrases soient meilleures l'année prochaine.
J'ai vraiment conscience que les mots peuvent aider les gens à vivre."
 
 
✽ 
  
 
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 Poème primé au prix Blaise Cendrars, mars 2015
(Vive la liberté ! Éditions Bruno Doucey)
 
 


23/10/2021
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