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Luisada, pianiste hors pair

 

Nous avions rendez-vous ce soir-là, à l'auditorium de Méribel, avec le pianiste Jean-Marc Luisada. Ce diable d'homme a failli faire exploser son piano.

D'un abord avenant, la cinquantaine juvénile, à la fois solidement charpenté et un visage en forme de proue constamment éclairé d'une sorte de sourire intérieur, l'homme s'adresse à vous simplement, directement, sans chichi, on en ferait presque d'emblée un ami, le ton est celui de la conversation. Mais qu'on y prenne garde ! Sous ses faux airs d'adolescent bohême un peu égaré sur la scène, se cache un tempérament de feu et de glace, qui saura allier à la douceur, à la mélancolie le déchaînement le plus fou des grandes orgues, la puissance fracassante de sons martelés avec force, le corps comme agité par des hoquets, presque désarticulé sautant bondissant entraîné entraînant le mouvement puis, tout à coup, comme stoppé par un geste large, les mains en suspension dans l'air, lentement, avec une infinie douceur se reposant effleurant les notes - nous donnant à sentir ce contact.

Cette musique là a des airs de montagne. On voit on entend les torrents dont les eaux puissantes dégringolent depuis les temps immémoriaux des glaciers comme les Glaciers  de Gébroulaz ou du Borgne, se frayant le chemin par des passages comme le Passage des Eaux Noires, charriant des eaux blanches de gypse, qui à force modèlent les rochers et les cailloux, leur donnent forme et empreinte, dévalent en cascades assourdissantes  puis soudain, paresseusement, s'épanouissent en surfaces étales - concert, symphonie de notes noires et blanches qui emplissent l'espace et le teintent de couleurs bleue comme le Lac Bleu, rouge comme le Col Rouge,  soufre comme le Roc du Soufre, blanche comme le Lac Blanc, noire comme le Roc des Eaux Noires...

Raffiné mais jamais maniéré, tout en franches approches, incisif, passionné, Luisada a tout d'un enchanteur un peu pataud, large, carré qui vous entraîne dans son monde en s'excusant presque de vous faire un peu violence, mais nul ne songerait réellement à s'en plaindre. Là, chez Chopin, Schumann ou Liszt il nous emmène dans son voyage intérieur, nous offrant ses visions hardies, fourmillant de trouvailles passionnantes à couper le souffle : comme d'un paysage à la beauté brute qui s'impose et s'offre dans la majesté de la nature prodigieuse, terre mère primordiale.

Sincère et sans détours, Luisada est de la race des poètes, des créateurs. Des charmeurs. De ceux qui vous subjuguent presque en dépit d'eux-mêmes.



 

La rose naît du mal qu'a le rosier.
     Mais elle est la rose.


[Aragon,  Le Roman inachevé]



14/08/2011
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