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Mes premières réflexions de confinée

 

Ci-après, entre deux épisodes de Gilgamesh, actualité obligeant, ces réflexions de mon épouse Chantal

 

 

 

Aujourd'hui, j'ai envie de partager avec vous sur l'évènement majeur qui nous frappe tous, non pas pour me précipiter dans le meilleur profit à en tirer ou même pour parler d'opportunité à saisir, mais plutôt pour dire ce que je ressens dans cette nouvelle situation, parler de mes "dérangements", mes "désordres" dans le sens où ce qui était rangé et ordonné ne l'est plus. Evoquer ces choses sans y mettre, a priori, une valeur positive ou négative et - cela pour laisser les choses mûrir à leur rythme, au fur et à mesure de ce temps à venir de confinement.

Première prise de conscience : le coronavirus nous est tombé dessus, dans un monde carapaçonné dans son illusion de pouvoir et de maîtrise - je ne dis pas le meilleur des mondes - où nous voulons croire que tout est prévisible, où nous supportons de plus en plus mal l'imprévisible, c'est à dire le non maîtrisable. Il suffit d'un virus pour mettre sens dessus dessous le monde entier. Le pseudo équilibre du monde nous apparaît tout à coup très fragile, tel un château de cartes qui s'effondre. De plus, nous ne cessons de déraper sans en connaître la fin, ni la finalité d'ailleurs. C'est l'inconnu, donc l'insécurité - pour ne pas dire la panique - qui se propage et  s'amplifie au rythme de la course du virus.
 
Confinement n'est pas un mot politiquement correct (d'ailleurs le chef de l'Etat ne l'a pas employé dans son allocution du 12 mars), il ne flatte pas nos mentalités. Il va dans le sens de la prison, de l'enfermement, de la restriction, du rabougrissement, à l'inverse de la liberté, du déploiement, de l'expansion, de l'extériorisation, de l'ouverture, mots qui sonnent mieux à nos oreilles d'extravertis insatiables.

Fermeture de l'espace et, à l'opposé, ouverture du temps qui s'étire devant nous. Fermeture et ouverture. Nous sommes enfermés alors que notre nouveau mode de vie nous fait sortir brutalement de nos compartiments habituels (notre "emploi du temps"). Le temps indéfini et infini : les journées et les semaines se configurent au gré de notre propre initiative, sans le soutien de la colonne vertébrale de la vie sociale (je pense surtout au rôle de l'école et du travail pour une grande partie de la population), et cela, pour une durée indéterminée.
 
Ce moment est grave que nous traversons, sur lequel pèsent des menaces et qui est source de peur et d'angoisse : cette maladie qu'on ne sait pas encore maîtriser et la menace de la mort. Nos vieux fantasmes émergent (cerveau reptilien) : la peste, le choléra, les grands maux qui ont traversé les siècles en laissant des stigmates dans nos mémoires et qu'on croyait à jamais disparus. Des attitudes régressives (et inadaptées) ressurgissent : les Français se jettent sur les provisions de nourriture ou de papier toilette (!), les Américains sur les achats d'armes...
Un climat de gravité que l'on perçoit dans les lieux publics, dans les magasins, même si les gens parlent peu entre eux et que règne un silence inhabituel dans les rues.
 
La remise en cause de nos priorités, de notre échelle de valeurs : tout dans notre monde - jusqu'au fin fond de notre inconscient - est façonné par le modèle économique de la consommation, l'utilité, le souci d'efficacité et de rendement, y compris dans nos loisirs : en avoir et en faire le plus possible pour le plus de plaisir possible et pour apporter le plus de valeur ajoutée ou de piment à nos vies . Devenus esclaves de cet univers, tout d'un coup, nous sommes réveillés à l'essentiel non par sagesse mais parce que confrontés au danger, par peur tripale, parce que les événements s'imposent à nous, malgré nous. 
La situation nous ramène à nos fondamentaux. Et beaucoup de choses dans nos valeurs, nos modes de fonctionnement nous apparaissent tout à coup dérisoires, en même temps que s'opère une prise de conscience de nos dépendances, au fur et à mesure que le sentiment de frustration s'accroît.
 
Une liberté de mouvements réduite dans un espace clos, et par voie de conséquence un changement brutal de nos habitudes. Une vie imposée dans une unité de lieu, réglée par des restrictions extérieures à notre volonté, notre rapport à l'espace en est profondément modifié. 
Cette situation nous oblige tout naturellement - qu'on le veuille ou non - à un retour sur soi. Besoin de se redéfinir, se repositionner, de se regrouper sur soi, de se mobiliser face à une situation dont on ne fait pas le tour, face à l'inconnu.
Cette situation nous renvoie au silence et à une certaine solitude. Elle va exiger que nous mettions en oeuvre de nouvelles ressources.
 
Le fait que nous en sommes tous réduits à la même enseigne face au coronavirus (sauf que tout le monde est loin d'être égal devant cette situation de confinement). Donc un certain sentiment de solidarité tripal naît de ce que nous partageons collectivement le même danger et qui s'exprime par des élans de générosité. 
En même temps, un isolement possible puisque nous ne pouvons plus nous rencontrer physiquement.
L'absence de contacts physiques exige que nous partagions, exprimions nos émotions et nos affects autrement, par d'autres canaux. Parents très âgés qu'on ne peut plus visiter, petits-enfants, amis, etc... Comment traduire sa proximité autrement que par des rencontres physiques?
Le besoin de communiquer apparaît d'autant plus fort que le sentiment de solidarité est aiguisé par la gravité de la situation. 
 
Cette situation de sevrage imposé d'activités, de sorties, de rencontres conviviales, etc...représente pour moi un défi par rapport à la question du divertissement pascalien. Vais-je me précipiter dans n'importe quelle occupation pour remplir ce vide ? Internet et tous ses dérivés peuvent être encore plus sur-investis, par exemple.
En tous cas, le confinement fait naître en moi ce fantasme de vide, de vacuité… Le risque étant le remplissage. Que vais-je faire de cette béance ?
 
Mais cette situation inédite - tout en étant porteuse d'angoisse et de peur - réveille paradoxalement un sursaut de vie irrépressible et aiguise une soif de "réinventer" le monde. Fondamentalement, je sens que quelque chose s'ouvre au fond de moi, la naissance d'un enthousiasme et d'une énergie nouvelle face au danger et à un défi majeur à relever.  Cette crise remet à plat beaucoup de choses dans nos manières de fonctionner, tant individuellement que collectivement et les remises en cause sont majeures, même si on n'en mesure pas aujourd'hui toute l'ampleur. 
Face à la menace de la mort, la force irrépressible de la vie est palpable. Finalement, menacée, la vie, dégagée de ses scories, se manifeste impérieusement.
 
Mais aussi je sens qu'on peut très vite être rattrapé par ses propres démons : par exemple, ce temps ouvert devant moi me laisse imaginer que je vais pouvoir réaliser ce que je n'ai jamais ou ne prends jamais le temps de faire. En fait c'est plus compliqué et je fais l'expérience que mes journées sont trop courtes ou en tous cas que j'ai besoin d'une certaine discipline, d'établir des priorités pour laisser cette béance exister en toute liberté et ne pas me retrouver piégée dans de nouvelles habitudes de confinée !
 


23/03/2020
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