Nikola Tesla, le Mozart des inventeurs
Tesla, vous connaissez Tesla? Je ne parle pas des voitures électriques, mais de Nikola Tesla (1856-1943), l'inventeur génial — dont Elon Musk a emprunté le nom pour en faire sa marque de fabrique automobile.
Nikola Tesla, c’est le Mozart des inventeurs. Sa vie, son parcours méritent d’être connus. Ses recherches, qui ont jeté une grande partie des bases des systèmes électriques et de communication modernes, étaient si révolutionnaires que nombre de scientifiques contemporains ne les ont pas comprises.
Ajoutons que Tesla était un humaniste. Il a eu le souci constant de mettre son exceptionnelle puissance mentale au service de l'humanité et de l'amélioration des conditions de vie de ses semblables. Les premières lignes de son autobiographie sont révélatrices de son état d'esprit :
« Le développement progressif de l'homme dépend de façon vitale de l'invention. Celle-ci est le produit le plus important de son cerveau créatif. Son but ultime est la maîtrise complète de l'esprit sur le monde matériel, la mise à profit des forces de la nature pour les besoins de l'homme. C'est la tâche difficile de l'inventeur qui est souvent incompris et non récompensé. »
Tesla a d'abord fait des recherches dans la téléphonie et l'ingénierie électrique avant d'émigrer aux États-Unis en 1884 pour travailler avec Thomas Edison puis avec George Westinghouse, qui enregistra un grand nombre de ses brevets. Au total, Tesla a déposé quelque 300 brevets couvrant 125 inventions ! parmi lesquelles, pour donner une idée de sa créativité : le moteur électrique asynchrone, l’alternateur polyphasé, un générateur à haute fréquence, la bobine qui porte son nom etc. Une de ses plus importantes contributions demeure sa participation au développement et à l’adoption du courant alternatif pour transporter l’électricité (ce qui a donné lieu à une rivalité appelée « guerre des courants » entre Edison, qui promouvait le courant continu, et Tesla, dont le système a été finalement mondialement adopté). Tesla a exploré bien d’autres domaines comme la télécommande (en 1898, il concevra un bateau télécommandé sans fil qu’il nomme "teleautomaton"), la réflexion des ondes, le radar etc. etc. 300 brevets, 125 inventions !
Très tôt, dès sa scolarité, il a manifesté ses dons, observant, explorant, imaginant des expériences au grand dam de ses professeurs parfois dépassés. Il conservera toujours son esprit inventif, mais dans ses vingt dernières années, suite à de nombreux déboires autour de ses brevets, il se trouve isolé, est oublié, et meurt seul dans une chambre d’hôtel à New-York en 1943, à l’âge de 86 ans, couvert de dettes.
Nikola Tesla impressionne par son apparence physique. Grand, mince, le profil acéré, il gardera cette silhouette remarquable jusqu’à la fin. La soixantaine passée il écrit : "Mes amis me font souvent remarquer que mes costumes me vont comme des gants, mais ils ne savent pas que tous mes vêtements sont fabriqués selon des mesures qui ont été prises il y a près de 35 ans et qui n'ont jamais changé. Pendant cette même période, mon poids n'a pas varié d'un kilo." De quoi faire rêver plus d'un...
Autre anecdote, révélatrice de son agilité corporelle : un soir où il rentre à pied à son hôtel par une nuit glaciale, il glisse sur le sol verglacé, pivote de 180 degrés, atterrit sur ses mains, et reprend sa marche comme si de rien n'était. Un passant qui le suit l'interpelle : "— Quel âge avez-vous donc ? — Oh! environ cinquante-neuf ans. Et alors ? — Eh bien, dit le passant, j'ai vu un chat faire ça, mais jamais un homme."
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Mais ce qui m’intéresse de considérer ici, c’est : d’où lui est venue cette créativité hors pair ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous disposons de son autobiographie, rédigée en 1919 (il a 63 ans) sous la forme de six articles parus à l’origine dans le périodique The Electrical Experimenter, édités ensuite en livre sous le titre Mes inventions. (Toutes les citations ci-après sont extraites de son autobiographie). Certaines des pages de l'autobiographie sont consacrées précisément aux origines de sa créativité.
D’où lui est venue donc sa créativité ? Premier élément de réponse : elle était dans son ADN ! Du côté de son père et du côté de sa mère.
Le père d’abord. Voici ce que Tesla en dit : "Fils d'un officier ayant servi dans l'armée du Grand Napoléon, il avait reçu une éducation militaire, mais, chose singulière, il embrassa plus tard le clergé, vocation dans laquelle il s'illustra. C'était un homme très érudit, un véritable philosophe naturel, un poète et un écrivain et ses sermons étaient réputés. Il avait une mémoire prodigieuse et récitait souvent longuement des ouvrages en plusieurs langues."
De son père, Nikola Tesla hérite de cette mémoire prodigieuse : une mémoire eidétique (du grec eîdos, « image »), qui lui donnait la capacité de se rappeler un grand nombre de détails d'une image. Tesla était capable aussi de mémoriser des livres complets, et était polyglotte, parlant huit langues : serbo-croate, tchèque, anglais, français, allemand, hongrois, italien et latin. Cette mémoire absolue jouera un rôle clé dans le processus d’invention.
Quant à sa mère, Tesla écrit : "C’est à son influence que je dois ma créativité" : "Ma mère descendait d'une des plus anciennes familles du pays et d'une lignée d'inventeurs. Son père et son grand-père ont tous deux inventé de nombreux outils pour le ménage, l'agriculture et d'autres usages." Elle-même était une inventrice : "Ma mère était une inventrice de premier ordre et aurait, je crois, accompli de grandes choses si elle n'avait pas été si éloignée de la vie moderne et de ses multiples possibilités. Elle inventait et construisait toutes sortes d'outils et d’appareils."
Nikola a donc de qui tenir. Mais ce que nous apprenons aussi dans son autobiographie, c’est qu’il avait un frère aîné, de six ans plus âgé que lui, encore plus doué que lui, et c’est sur ce frère que reposaient tous les espoirs du père... Malheureusement son frère décède, à l’âge de seize ans, d’un accident de cheval. Nikola en a alors dix. Les relations avec son père vont dès lors devenir compliquées, le père n’ayant jamais fait le deuil du fils aîné et de ses espoirs brisés. Destiné à devenir prêtre orthodoxe comme son père, Nikola bataillera rude pour obtenir de lui l'autorisation de faire des études d'ingénieur.
Nikola va ainsi se construire, assez seul. Toute sa vie, il aura tendance à s’isoler dans son travail. Mais en vérité, ce dont il se nourrit, c’est d’une vie intérieure exceptionnellement intense. Il vit des moments d’inspiration forts. Il parle de "troubles" dont il a souffert dans son enfance : il lui arrivait de voir des éclairs de lumière aveuglants, souvent accompagnés de visions, liées à un mot ou à une idée qu'il aurait pu rencontrer. Ce qu’il découvre rapidement, c’est que faute de pouvoir éloigner ces visions, son "meilleur confort" est atteint s’il va "plus loin dans sa vision" en obtenant sans cesse de nouvelles impressions. "J’ai donc commencé à voyager— bien sûr dans mon esprit. Chaque nuit (et parfois le jour), quand j’étais seul, je partais en voyage — je voyais de nouveaux endroits, de nouvelles villes etc." Ainsi va bientôt naître sa méthode d’invention.
Tesla conçoit tout dans son esprit. Nul besoin de prototypes. Il peut visualiser intérieurement une invention dans ses moindres détails, en incluant toutes les dimensions, et en imaginer le fonctionnement :
"Lorsque mes pensées se sont sérieusement tournées vers l'invention, j'ai alors constaté, à ma grande joie, que je pouvais visualiser avec la plus grande facilité. Je n'avais pas besoin de modèles, de dessins ou d'expériences. Je pouvais les imaginer comme réels dans mon esprit. C'est ainsi que j'ai été amené inconsciemment à élaborer ce que je considère comme une nouvelle méthode de matérialisation des concepts et des idées inventives, qui est radicalement opposée à la méthode purement expérimentale."
Tesla explicite ainsi le processus :"Lorsque j'ai une idée, je commence immédiatement à la construire dans mon imagination. Je modifie la construction, j'apporte des améliorations et je fais fonctionner l'appareil dans mon esprit. Il m'est absolument indifférent de faire fonctionner ma turbine en pensée ou de la tester dans mon atelier... Invariablement, mon appareil fonctionne comme je l'ai conçu et l'expérience se déroule exactement comme je l'avais prévu. »
Je n’ai pas les compétences en psychologie pour comprendre comment cela fonctionne, mais j’avoue être fasciné par ce fonctionnement. Tesla semble avoir vécu la science de l'intérieur, comme un compositeur entend sa musique dans les moindres détails avant qu'elle ne soit jouée. Mais à la différence du musicien doué de mémoire eidétique qui compose avec les sons, Tesla composait avec les formes.
Dans l’histoire, on compte seulement quelques génies à la mémoire eidétique : ainsi Mozart (qui aurait retenu de mémoire la composition du Miserere de Gregorio Allegri, entendu une seule fois lors d'une messe pascale à la Chapelle Sixtine), Napoléon Bonaparte, Camille de Saint-Saëns... L'homme de science Tesla rejoint ce petit nombre.
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