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Vieillesse

 
 
Le vieillissement, c’est comme le crépuscule du soir, la lumière incertaine qui s’évanouit doucement, avant que la nuit soit complètement tombée. La lumière de la fin du jour s’évapore, le contour des choses devient moins distinct, mais c’est aussi l’expérience d’une sorte de retour sur soi, qui n’est pas un repli, mais un recueillement. Le moment de la découverte de la vérité de son âge.  
 
Ce moment n’arrive pas d’un coup, il y a des signes précurseurs, qu’il n’est pas aisé, parfois, d’accepter. Comme lorsque, pour la première fois, quelqu’un vous propose sa place assise dans le métro ou le bus. Ou lorsque, un court instant, vous apercevez votre propre silhouette, légèrement voûtée, dans le reflet d’une vitrine. On dirait un vieux, me dis-je. Je me réjouis alors, me redressant, de considérer dans la rue de plus vieux encore : il reste de la marge. Oui, peut-être, mais pour combien de temps ? La société, déjà, me catégorise inexorablement comme "personne à risque", à protéger en période de pandémie...
 
Certaines limitations physiques commencent à se faire sentir, il est vrai, qui confirment ce sentiment qu’on a quitté décidément une rive pour s’apprêter à en aborder une autre. Je ne peux plus courir après un ballon avec mes petits-enfants, il m’est plus difficile de me mettre à quatre pattes pour bricoler une prise défectueuse, descendre un escalier demande un peu de précautions etc. Sans parler des épisodes de maladie, voire d’hospitalisation, qui font toucher à des limites plus fortes encore. 
 
L’être-au-monde, comme disait Merleau-Ponty, se rétrécit. N’empêche que la vie pour autant ne s’amoindrit pas, sauf à consentir par trop à toutes les pertes associées à la vieillesse. Laure Adler, dans son livre consacré précisément à la vieillesse La voyageuse de nuit, un « carnet de voyage au pays que nous irons tous habiter un jour », comme elle dit, cite ce « catalogue à la Prévert » à partir du mot perte, que lui a envoyé son amie Mona Ozouf : « On perd ses cheveux, on perd patience, on perd le nord, on perd confiance, on perd la partie, on perd ses proches etc.  [j’abrège la liste…]. Laure Adler ajoute, à juste titre : « Oui mais on gagne beaucoup plus que ce qu’on perd : on gagne le détachement, une certaine sérénité, un je-m’en-foutisme jubilatoire, une joie des petits instants — le goût du thé, une éclaircie de bleu un jour de novembre, une chanson à la radio —, on sait qu’on est là quand même dans le flux de la vie […] ». 
 
Ce que Mona Ozouf exprime très bien dans ces paroles : « Finalement la vieillesse complique la vie physique et la vie matérielle mais simplifie la vie morale ».  
 
Ce mot « simplification » me paraît signifier l’essentiel. J’aime à relire, à ce propos, ces pages lumineuses de C.G. Jung où, évoquant le « second versant » de la vie, il nous donne à entendre que les lois qui régissent ce second versant ne sont pas identiques, voire même sont contraires à celles du premier, et que la sagesse requiert de s’y conformer. 
 
« Le matin et le printemps, ainsi que le soir et l’automne de la vie, écrit Jung dans L'Âme et la Vie, ne sont pas des expressions uniquement sentimentales ; ce sont des vérités psychologiques ; plus encore, ce sont des réalités physiologiques.
Notre vie est comparable au cours du soleil. Le matin, le soleil augmente progressivement sa force jusqu’à ce qu’il atteigne, brillant et intense, son apogée de midi. Alors survient l’énantiodromie ; sa constante marche en avant n’implique plus augmentation mais diminution de sa force ».
 
Ainsi, pour la second versant de la vie, l'heure n'est plus à la constante expansion, à l'élargissement vital continuel, mais à la simplification, la limitation et l’intériorisation — ce sont les trois mots qu’emploie Jung : « Pour l’adulte qui se trouve à la seconde moitié de la vie, le juste principe n’est plus, évidemment, l’élargissement vital continuel ; la descente à l’après-midi de la vie exige simplification, limitation et intériorisation, autrement dit : culture individuelle ».
 
Du coup le « programme », comme dit Jung — je transposerais volontiers : le « logiciel » — n’est plus le même. « Il est impossible de vivre le soir de la vie d’après les mêmes programmes que le matin, car ce qui était alors de grande importance en aura peu maintenant et la vérité du matin sera l’erreur du soir ».
 
Tel me paraît l’enjeu de l’entrée dans cette nouvelle contrée, alors que la lumière du jour devient incertaine. Le regard porte moins loin, les couleurs s’estompent, le chemin s’éprouve plus aride, mais une précieuse lumière éclaire à l’intérieur qui invite à la simplification et à dire Oui à la vie, cette vie-là, non pas amoindrie, mais recentrée, une vitalité recueillie.
 
 
 
 


07/05/2022
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