Olympe de Gouges
Un ami, que je salue ici, Christophe B., demandait en commentaire d'un billet récent sur Condorcet : "À quand un billet sur une femme injustement oubliée ?" Voilà qui est fait : Olympe de Gouges ayant été très longtemps injustement oubliée... jusqu'à ces derniers temps, où elle est considérée comme l'une des pionnières du féminisme — et plus encore.
Olympe de Gouges
Portrait présumé d'Olympe de Gouges (1748-1793)
Anonyme - Musée Carnavalet
Olympe de Gouges : ce nom sonne haut dans notre mémoire collective ; mais ce ne fut pas toujours le cas. Longtemps ignoré, parce qu'il est celui d'une femme, il tarda à être reconnu : la première biographie consacrée à Olympe de Gouges remonte à 1981.
Et pourtant, quelle femme ! La première qui en France, en 1791, appuyée par le seul Condorcet, formule une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qui pose le principe de l'égalité des sexes ; revendiquant par ailleurs toutes les libertés, y compris sexuelle ; réclamant le droit au divorce et à l'union libre ; militant pour la promotion de la femme dans la société ; parlant, très en avance sur son temps, d'assistance sociale ; proposant la création d'établissements spécialisés pour les vieillards, de refuges pour les enfants en péril, d'ateliers publics pour les hommes sans travail ; lançant l’idée d’un impôt sur le luxe pour financer les dépenses sociales… (encore en débat aujourd’hui, n’est-il pas ?) ; abolitionniste de l'esclavage des Noirs etc. etc. Les propositions d'avant-garde fourmillent sous sa plume.
Sous sa plume : car, en tant que femme, elle n'a aucun accès à aucune tribune publique ; n'ayant ni le droit de vote ni celui d'être élue, elle ne peut agir que par ses écrits.
Et voilà un nouveau mystère Olympe de Gouges : c’est que, dans sa jeunesse, elle n’a appris ni à lire ni à écrire. Quelle est donc cette femme si originale, exubérante, haute en couleurs, foisonnante d'idées totalement novatrices, qui veut agir par ses écrits, mais se trouve quelque peu dépourvue d'éducation ? Et d’abord, s’appelait-elle réellement Olympe de Gouges ? Non ; c'est sa première création littéraire.
Née à Montauban, en 1748, Marie Gouze, officiellement fille de Pierre Gouze, maître boucher, et d’Anne-Olympe Mouisset, fille d’un avocat ; sans la moindre instruction ; mariée à seize ans à Louis-Yves Aubry, traiteur ; mère d’un fils à dix-sept ans, veuve quelques mois plus tard ; elle devrait, selon l’usage, se faire appeler veuve Aubry. Mais elle le refuse, et, reprenant un des prénoms de sa mère, Olympe, et transformant Gouze en Gouges, la voilà Olympe de Gouges, sachant à peine orthographier son nouveau nom.
Veuve à dix-sept ans, elle refuse tout nouveau mariage, et se débrouillera seule à Paris, où elle est montée avec son fils… Certains disent qu'elle était "légère", d'autres "libre", en tout cas assez entretenue pour mener une vie luxueuse et galante, et assez bien faite de sa personne pour en jouer. Avec cela beaucoup d'esprit — hérité sans doute de son vrai père, étant en réalité fille illégitime, comme on dit, d’un homme de lettres, pour lequel elle manifeste beaucoup d’admiration, bien qu’il ne l’ait pas reconnue, Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan, dit Lefranc de Pompignan, d’une famille de noblesse de robe de Montauban, connu comme poète lyrique, souvent victime des sarcasmes de Voltaire✽.
Habitation d'Olympe de Gouges
anciennement rue des Fossoyeurs
aujourd'hui rue Servandoni
Habitant rue des Fossoyeurs (aujourd’hui rue Servandoni, à deux pas de Saint-Sulpice) — la même rue où Condorcet, proscrit, se cachera de juillet 1793 à mars 1794 — Olympe développe son esprit et son éducation (elle écrit : "Je n'ai pas l'avantage d'être instruite") en fréquentant les salons littéraires parisiens, où elle rencontre lettrés et hommes politiques. Vers 1780 (elle a trente-deux ans, ce qui est âgé pour l’époque), elle se met à “écrire” (elle dicte à des secrétaires) des pièces dramatiques, qui n’ont pas enrichi le patrimoine littéraire, mais lui offrent l’opportunité d’exposer au public ses idées politiques avant-gardistes. Elle ne sera bientôt plus occupée que de sa carrière de dramaturge engagée.
À l'approche de la Révolution, elle s’enthousiasme pour les idées nouvelles et préfère l’action directe à la carrière littéraire. Elle publie alors de multiples pamphlets consacrés à toutes les causes qu’elle défend, faisant des propositions très novatrices — souvent peu audibles même des esprits les plus ouverts de son temps — dans le domaine social et sociétal, interpellant directement, avec son franc-parler, les représentants de la nation, voire la Reine elle-même ! à qui elle dédie sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Tout cela se terminera, on le sait, par la guillotine… Car, en 1793, elle ose prendre position contre Robespierre lui-même, qu’elle interpelle publiquement, avec un courage fou, mais lucide (“J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inéluctable”) :
“Tu te dis l’unique auteur de la Révolution, Robespierre ! Tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration… Chacun de tes cheveux porte un crime… Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui du peuple ?”
Arrêtée le 20 juillet 1793 (Condorcet de son côté a été décrété d’arrestation le 8 juillet, et se cache chez la veuve Vernet rue des Fossoyeurs), elle passe trois mois à la prison de l’Abbaye, à Saint-Germain-des-Prés, et après un procès expédié par Fouquier-Tinville le 2 novembre (Marie-Antoinette vient d’être guillotinée), elle est condamnée à la peine de mort. Le lendemain, 3 novembre, Olympe de Gouges est guillotinée sur la place de la Révolution.
La Révolution, ou plutôt la Terreur, qui ne fut qu'une forme de folie de la Révolution, sacrifiait ainsi "la grande révolutionnaire inconnue de notre histoire" (Claude Manceron) qui, avec Condorcet et d'autres visionnaires, ont contribué à jeter les bases d'une société plus juste, plus égale, plus solidaire, dont nous avons hérité — un héritage à défendre aujourd'hui plus que jamais, dans leur lignée.
"Veilleur éphémère du monde
À la lisière de la peur
Lance ta révolte valide"
(René Char)
✽ Un exemple, digne d'une anthologie de la répartie : Lefranc de Pompignan ayant fait paraître une de ses oeuvres majeures, un recueil intitulé « Poésies sacrées », Voltaire commente :
- Sacrées, elles le sont car personne n’y touche.
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