Osiris
La découverte de deux cités antiques, Canope et Thônis-Héracléion, englouties depuis deux millénaires, en Méditerranée, dans la baie d'Aboukir, est l'objet d'une exceptionnelle exposition qui se tient actuellement à Paris, à l'Institut du monde arabe : "Osiris, mystères engloutis d'Égypte", avec quelques 300 pièces sorties des fonds marins, accompagnées de chefs-d'oeuvre venus du Musée du Caire.
Au delà de l’émotion esthétique que suscite certaines de ces pièces, c’est une quasi émotion religieuse qui emplit progressivement le visiteur, au fur et à mesure qu’il progresse au long du parcours, comme si les eaux d’où ont été extraites les oeuvres qu’elles recouvraient, venaient à lentement nous recouvrir à notre tour, nous remettre en contact avec les fonds immergés de notre humanité.
L’émotion esthétique, je ne sais pas bien la définir, elle tient peut-être, ou participe, d’une sorte de ravissement qui vous emporte à la vue de l’objet contemplé, que ce soit un paysage, ou une oeuvre d’art, comme il en est de la musique, c’est une émotion légère, aérienne.
Ainsi de la contemplation de cette sublime statue de la reine égyptienne Arsinoé II, épouse de Ptolémée II, trouvée sur le site de Canope. Sous l'apparence d'Isis - la femme et soeur d'Osiris - la reine est représentée dans l'attitude pharaonique traditionnelle, le pied gauche en avant, en position de marche. Le rendu torride du plissé-mouillé de la robe, renforcé par le poli parfait de la granodiorite noire, participe de la sublimité de l'effigie.
Statue de reine égyptienne
Mais l’émotion la plus forte est de nature pour ainsi dire religieuse, si j’entends dans ce mot le sens étymologique contenu dans le terme latin «re-ligare», relier : ce qui relie l’homme à la divinité ou, comme le définit Cicéron, « le fait de s'occuper d'une nature supérieure que l'on appelle divine ».
Osiris (du grec : Ὄσιρις) est un dieu ancien du panthéon égyptien, dont le mythe est attesté plus de deux millénaires avant notre ère : Fils de la Terre et du Ciel, il fut tué par son frère Seth, qui le noya dans le Nil et démembra son corps en quatorze morceaux. Isis, sa soeur-épouse, par la puissance de sa magie, le fait renaître, puis, après s'être unie à lui, conçoit leur fils : Horus, qui régnera sur l'Égypte. Osiris ne revient pas sur terre mais règne désormais sur le royaume des morts.
Isis sous forme d'une oiselle posée sur le membre en érection d'Osiris mort
lui insuffle la vie et conçoit Horus
Le mythe osirien de la mort et de la renaissance annonce toutes les formes de renouveau possibles, que ce soit dans la végétation ou chez l'homme.
Osiris est comme le grain enterré lors des semailles qui ressuscite lors de la moisson suivante. Une des images de la renaissance d'Osiris est la figuration d'épis de céréales poussant sur son corps momifié. Les prêtres plaçaient rituellement dans une grande cuve - dont une a été retrouvée sous les eaux et est présentée dans l’exposition - un mélange terreux, où du grain mouillé se mettait à germer. Cet Osiris Végétant, une fois exposé au soleil puis desséché, était placé dans une barque sacrée puis rituellement transporté vers la nécropole de Canope, où la momie y était éliminée, soit enterrée soit jetée à l'eau.
La représentation d'Osiris Végétant figurant le mystère de la mort et de la renaissance est particulièrement prégnante. On la retrouve sous la forme d'une statuette momifiée (venant du Musée du Caire), faite de grains d’orge et de limon marin, qui était fabriquée chaque année et portée lors de la sortie rituelle du dieu Osiris en dehors de son temple, d'Héracléion à Canope, au commencement de la saison de l'inondation du Nil.
Statuette momifiée d'un Osiris Végétant
Le mythe osirien de la mort et de la renaissance nous rejoint profondément, à la fois dans notre relation à la nature - ou la recherche d’une nouvelle relation à la nature, éloignée du «Maîtrisez-la et soumettez-la» biblique - et dans notre interrogation toujours lancinante sur les mystères mêlés de la vie et de la mort.
La rencontre, à la faveur de l'exposition, avec ces objets millénaires extraits des fonds marins, qui ont conservé leur puissance de nous raconter un récit, récit qui concerne notre propre fonds en humanité, est profondément émouvante. "Je suis un homme ; rien de ce qui est humain ne m'est étranger", disait le poète latin Térence. Seule la barbarie, qu'elle se soit manifestée dans les siècles passés ou telle qu'elle se manifeste aujourd'hui, peut imaginer trouver un sens, sous couvert d'instrumentalisation au service d'intérêts politiques, à la destruction volontaire d'oeuvres riches en humanité, miraculeusement préservées, sous les eaux ou dans les sables, en tout pays ou toute civilisation, qu'elle soit nôtre ou autre.
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