"Per ardua ad astra" ou La marche vers l'Etoile
Un mien cousin m’avait demandé il y a quelques années comment traduire cette devise latine : Per ardua ad astra, qui était celle de la RAF dans laquelle son père avait servi pendant la dernière guerre comme pilote de bombardier — jusqu’à ce dernier raid sur l’Allemagne en janvier 1945, dont il ne revint pas. Comment traduire donc au juste Per ardua ad astra ? Je lui avais répondu à l’époque quelque chose comme cela : La difficulté vient de arduus,a,um qui a deux sens, que relève le Gaffiot :
soit (1) "haut, élevé",
soit (2) au sens figuré a) "difficile", b) "défavorable, adversité ».
Si on retient le sens (1) on a une sorte de tautologie : "Par les choses élevées vers les étoiles". Pas très satisfaisant.
Le sens figuré se prête mieux à une signification :
- soit a) : « À travers les difficultés jusqu'aux étoiles »
- soit b) : « À travers l'adversité jusqu'aux étoiles »
À noter que les Canadiens, dont les forces aériennes ont la même devise latine, traduisent quant à eux : « À travers les embûches jusqu’aux étoiles ».
Finalement, disais-je à mon cousin, c’est pas mal en latin : on y met la poésie qu’on veut, l’idée étant qu’à travers (per) les difficultés, embûches, adversité, l’essentiel est de continuer à viser (ad) les étoiles.
Voilà qui nous ramène aux jours d’aujourd’hui. Comment dans l’ambiance actuelle de tensions, de violences, de chaos, vivre l’esprit de Noël ? Comment garder un esprit apaisé ? sinon sans doute en appliquant cette devise : à travers les difficultés viser les étoiles, regarder vers la lumière en haut. À l’instar d’Alexandra David-Néel — cette célèbre exploratrice audacieuse, première femme occidentale à avoir pénétré incognito au Tibet dans les années 1920, décédée à Digne en 1969 à l’âge de 101 ans (l’aventure et l’audace conservent) — qui écrivait sur ses carnets :
Marche à l’étoile,
même si elle est trop haute,
ne la quitte pas des yeux.
Elle te fera avancer loin,
sans fatigue et sans peine.
« Marche à l'Étoile, même si elle est trop haute » : Cette parole est d’autant plus appropriée que nous sommes bientôt au solstice d’hiver — ce sera dans la nuit du 21 décembre, la nuit la plus longue de l’année. Au solstice (du latin solstitium : de sol, « soleil », et sistere, « s'arrêter, retenir »), le Soleil semble avoir arrêté, comme suspendu sa course : puis débute le cycle nouveau de l’allongement des jours annonçant le retour de la lumière et de la vie, que célèbre la fête chrétienne de Noël, laquelle s’est greffée sur les fêtes païennes qui depuis des temps immémoriaux célébraient ce même mystère, universel, de la mort et de la renaissance.
En ces jours singuliers je me remémore un récit, une sorte de conte qui me donne à méditer. Dans ses Derniers fragments d’un long voyage, ce testament spirituel que Christiane Singer a laissé avant d'être emportée par la maladie, elle livre un récit raconté par sa grand-mère : Dans la forêt des Carpates, par une nuit glaciale, une vieille femme recueille un vieil homme hagard d’épuisement. Elle prend soin de lui avec force sollicitude. Progressivement, le visage du vieil homme s’apaise, s’adoucit… et voilà qu’apparaît le visage d’un homme mûr, puis celui d’un homme dans la force de l’âge, puis celui d’un homme jeune, ensuite le visage d’un adolescent, et bientôt celui d’un enfant, d’un tout jeune enfant : aux premières lueurs de l’aurore, il ouvre des yeux de nouveau-né. Le cycle est accompli.
Christiane Singer commente ainsi ce récit qu'elle rapporte :
Cette nuit d'hiver glaciale, n'est-ce pas celle dans laquelle nous nous sommes tous fourvoyés, notre nuit à tous, le plus souvent cachée à la vue des autres ?
La vie nous a usés. La plus cruelle vieillesse n'est pas organique : elle est celle des coeurs. Nous sommes devenus de vieux morts-vivants, amers. L'éclat est perdu ; nos espérances sont écornées ; nous nous sommes accommodés de désespérer du monde. Trahison des trahisons.
Comment dans cette nuit du solstice d'hiver la plus interminable de l'année, la nuit des tueurs d'Hérode et des longs couteaux tirés, le retournement serait-il possible, simplement pensable, comment ?
C'est là l'entier mystère : la coïncidence de l'abîme et de la cime. C'est dans cette nuit-là et dans aucune autre que le miracle va advenir. Et il advient ! Dans la nuit des femmes, la nuit de la patience infinie... "oui, oui,...", la nuit des gésines, la nuit des entrailles !
Car le voilà le secret des mondes que révèle Noël !
Même si l'homme doit mourir, la vie lui est donnée pour naître et renaître...
C'est la naissance qui lui est promise et non la mort.
Il n'est que d'acquiescer pour que le miracle s'accomplisse !
Heureuse naissance, oui, joyeux Noël !
Noël, on n’a pas trop la tête à cela… Et pourtant, en ces jours de troubles et d’exaspérations, de violences et de désordre, de doutes et d’obscurité, en cette nuit du solstice d’hiver la plus interminable de l’année, c’est plus que jamais le moment de marcher à l'Étoile, même si elle est trop haute, ne pas la quitter des yeux : se rendre disponible, au coeur du mystère de la mort et de la renaissance, à une forme d’acquiescement à la vie qui est donnée.
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