Phillis Wheatley, écrits d'une esclave africaine américaine (II)
Suite…
J'ai écrit ce billet − l'avant-dernier sur Phillis Wheatley − presque sans difficulté visuelle, juste un léger flou. Merci aux équipes du Quinze-Vingts pour leur accueil et la qualité de leurs soins !
☙
... Les Wheatley durent se rendre à l'évidence : aucun éditeur de Boston, Massachusetts, ne voulait imprimer un livre de poésie écrit par une esclave noire. Ils ne baissèrent pas les bras pour autant.
Le fils Wheatley, Nathaniel, devant se rendre à Londres pour affaires, il fut décidé de viser le marché londonien, réputé plus ouvert. Phillis serait du voyage, elle serait produite en public (un peu sans doute comme, un siècle plus tard, Mozart enfant prodige serait présenté devant des assistances ; à la différence toutefois que le public voit Mozart jouer, la question dans le cas de Philis, c’est : est-elle réellement l’auteur des poèmes ? ). Une esclave noire, une “barbare inculte venue d’Afrique”, ne peut évidemment, selon le sens commun, avoir les capacités intellectuelles et artistiques pour écrire de la poésie ! Cela bouleverse tout ce qu’on pense quant à la sous-humanité des noirs ; or on a bien raison de le penser ; donc il y a suspicion !
La question de l’authenticité des poèmes devient ainsi décisive, conditionnant le futur immédiat de Phillis. L’enjeu est majeur ; face aux doutes et à la suspicion des contemporains, seule une garantie attestant de l'authenticité des écrits de Phillis Wheatley pouvait permettre d'envisager une publication.
Avant son départ pour Londres, Phillis dut se soumettre à un comité d’évaluation chargé de juger de son aptitude à écrire de la poésie. Ce comité était composé de dix-huit citoyens parmi “les plus respectables de Boston” ; on y trouvait le gouverneur du Massachusetts, diplômé de l’Université d’Harvard, des hommes d’Église, pasteurs de différentes Églises, ministres puritains, des membres de sociétés savantes, des marchands importants etc. − toutes personnalités reconnues de Boston.
Compte tenu des enjeux sociétaux, des tensions autour de la question de la capacité des noirs à écrire de la poésie, la réunion prit la forme d'un tribunal chargé de juger. Phillis dut répondre aux requêtes et aux interrogations du jury, donner des preuves de sa connaissance personnelle de la Bible et de la littérature anglaise, peut-être même improviser une composition… − Au terme de l'audience, les Wheatley obtinrent une attestation, signée par les dix-huit notables de Boston, certifiant de l’authenticité des écrits de Philis.
Une première étape majeure était franchie ; restait à trouver un éditeur londonien. Nathaniel embarqua pour Londres en mai 1773, emmenant avec lui Phillis, esclave qui a alors 20 ans. L’objet principal de son voyage était de développer certaines activités des affaires familiales ; mais, des contacts préliminaires ayant été pris, muni de la fameuse attestation, Nathaniel avait aussi pour objectif de démarcher des éditeurs et obtenir, ce à quoi il réussit, un contrat d’édition.
Le recueil, publié dans six librairies londoniennes sous le titre Poems on Various Subjects, Religious and Moral, eut un grand retentissement ; non en raison de la qualité littéraire ou l’originalité des oeuvres produites (ce n’était pas du Rimbaud!), mais du fait, historique, qu’il s’agissait du premier livre de poésie écrit par une personne africaine en langue anglaise !
Un éditeur parla de “génie pur et naturel” de la part “d’une Africaine qui n’a pas quitté la zone obscure du système habitable avant l’âge de huit ans”... Phillis fut invitée dans les plus hautes sphères de la société ; elle rencontra des personnalités éminentes ; déclencha stupéfaction et incrédulité − bref, elle était en passe de devenir un phénomène. Mais le séjour à Londres dut être écourté, l’état de santé de Susanna Wheatley, malade, s’étant brusquement aggravé (elle mourut peu de temps après leur retour). Phillis rentra aux Amériques.
Ici adviennent de nouveaux événements, qui vont bouleverser la vie de Phillis, et affecter profondément son destin de poétesse noire − étant donné les apriori, largement partagés dans la société, même auprès de grands esprits, contre l'humanité des Noirs...
Une seule illustration − avant un dernier billet dans la prochaine parution − ces lignes de Thomas Jefferson, futur rédacteur de la Déclaration d’indépendance et futur 3ème Président des Etats- Unis (de 1801 à 1809), qui possédait jusqu’à 240 esclaves dans ses plantations, à propos des Noirs :
“Si on considère leurs facultés de mémoire, de raison et d’imagination, il me semble que, en ce qui concerne la mémoire, ils sont égaux aux Blancs ; en ce qui concerne la raison, bien inférieurs, car je pense que l’on peut rarement trouver un Noir capable de suivre et de comprendre les travaux d’Euclide ; et en ce qui concerne l’imagination, ils sont ternes, insipides et anormaux.”
Rien n'est gagné ! Phillis Wheatley va se trouver à nouveau au coeur du combat...
À suivre...
A découvrir aussi
- Et si Sarko racait ... (13 février 2008)
- Sur les Terres d'Aubrac
- Quelques impressions de Pologne (IV) La Pologne aujourd'hui ?
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 104 autres membres