Racines
En déambulant dans les rues à quelques pas de chez moi, à Paris, on rencontre de nombreux lieux de mémoire qui réactivent dans l’esprit du promeneur le souvenir de personnages familiers de notre histoire ; tel Molière, dont l’Illustre théâtre était installé au Jeu de Paume des Mestayers rue Mazarine ; ou Racine, qui finit sa vie rue Visconti...
Au 12 rue Mazarine
... ou encore La Fontaine, Voltaire, les Encyclopédistes qui fréquentèrent le Procope, réputé le plus ancien café de Paris, qui donne d'un côté rue de l’Ancienne-Comédie, de l'autre passage du commerce Saint-André ; se retrouvaient aussi au Procope dans les temps de la Révolution, Danton qui habitait le passage du commerce Saint-André, Marat qui avait son imprimerie rue de l'Ancienne-Comédie juste en face du Procope, Robespierre, le club des Cordeliers qui s’y réunissait ; Hebert y fracassa le marbre du bureau de Voltaire dans une harangue enflammée ; Balzac, Victor Hugo, Verlaine fréquentèrent aussi le Procope…
Côté passage du commerce Saint-André
Au 13 rue de l'Ancienne-Comédie
Le Procope, le plus ancien café de Paris
fondé en 1686 par Procopio Dei Coltelli
Plus avant cela, dans l'axe de la rue de l’Ancienne-Comédie, la rue Mazarine (anciennement rue des Fossés-de-Nesle) suit depuis l’Institut de France (à cet emplacement se trouvait la Tour de Nesle) le tracé du fossé de l’enceinte de Philippe Auguste (enceinte dont on peut voir un pan de mur et la base d’une tour en descendant dans les sous-sols d’un parking… mais il faut connaître) ; à l'extérieur de l’enceinte, la puissante abbaye de Saint-Germain des Prés (dont il ne reste plus que l’église et le logis abbatial) formait un immense quadrilatère (aujourd’hui coupé par le boulevard Saint-Germain) entre la rue Saint-Benoît, la rue Jacob (anciennement rue du Colombier), la rue de l’Échaudé, et la rue Gozlin (anciennement rue Sainte-Marguerite) et devint un centre fécond de recherches historiques grâce à ses érudits, tel Dom Mabillon (qui a sa rue et sa station de métro) et caetera...
Ces lieux de mémoire forment comme un ancrage culturel : ce monde-là d’où nous venons y a ses racines, qui puisent loin dans le passé comme les racines d’un grand et bel arbre dans le sol nourricier.
Est-ce vaine nostalgie, inutile rêverie que de cultiver ce sentiment ? Je ne pense pas !
Certes les grandes problématiques qui nous préoccupent aujourd’hui sont à l’échelle de l’humanité entière. Aucune communauté locale, aucune nation ne pourra à elle seule résoudre la crise existentielle de l’effondrement écologique (réchauffement climatique, montée du niveau des océans, épuisement des ressources naturelles, migrations massives) ou répondre au défi d’une emprise incontrôlée des bio techs sur le devenir humain. La solution ne peut être que globale. Mais coopérer au global ne signifie pas renoncer à son identité pour se dissoudre dans le magma gris et uniforme, standardisé de la mondialisation. Au contraire. Mieux nous saurons où nous habitons, qui nous sommes, mieux nous serons à même de coopérer au global.
La pensée du sol et de l’attachement doit nous permettre aujourd’hui d’éclairer la situation où nous nous trouvons. L’idée d’enracinement n'évoque pas un repli sur soi, un repli identitaire — mais bien plutôt la lutte pour la vie, toujours au risque d’arrachements, comme l’a tragiquement illustré Van Gogh dans ce qui est probablement son dernier tableau, inachevé, avant son suicide à l'âge de 37 ans, Racines (juillet 1890)...
Van Gogh Racines
... accompagné de ces quelques mots jetés sur un papier : « Les Racines représentent quelques racines d'arbres dans un sol sablonneux. J'ai essayé d'exprimer l'idée de s'enraciner convulsivement, passionnément dans la terre et de se trouver néanmoins arraché en partie par les tempêtes. J'ai voulu exprimer un reflet de la lutte pour la vie dans ces noires et revêches racines noueuses... »
A découvrir aussi
Retour aux articles de la catégorie Billets d'humus -
⨯
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 104 autres membres