Notre-Dame restaurée
Restaurer : de restorer « remettre en état, reconstruire » (1140)
Éblouissement
Éblouissement : c’est le premier mot qui me vient, ce jour du 11 décembre, en pénétrant pour la première fois dans Notre-Dame restaurée : ébloui par la blondeur des pierres calcaires, jamais vues comme cela; la luminosité de la nef; l’ampleur et l’élan de l’architecture rénovée. Un joyau, à nouveau offert. Des retrouvailles, sublimées.
Émotion singulière par sa force, par sa manière d’envahir, de submerger; ses racines sont à chercher aussi dans la permanence du lieu, miraculeusement préservé.
Remémoration
Comment, à ce moment même de retrouvailles, ne pas se reporter en pensée d'un peu plus de cinq ans en arrière, à ce soir du 15 avril 2019, où tout paraissait perdu? La foule rassemblée sur les quais, impuissante; sidérée devant l’ampleur de l’incendie; des cris, des pleurs dans l’assistance.
«Soit sage, ô ma Douleur», «tiens-toi plus tranquille»,
«donne-moi la main»...
(Baudelaire)
Extrait de mon blog (avril 2019) :
Lundi à 20 heures nous étions sur les quais, à deux pas de chez nous, remplis d’effroi et de sidération à la vue des énormes rougeoiements de l’incendie et des épaisses volutes de fumée qui s’échappaient de l’édifice. Dans la foule compacte bloquée sur les quais par la police à hauteur de la Place Saint-Michel, des badauds, des touristes, mais aussi des Parisiens émus jusqu’aux larmes. La flèche venait de s’écrouler. Les immenses lances à incendie des pompiers arrosaient la tour sud (celle de droite en regardant la façade) pour la refroidir, puis les efforts des sauveteurs se concentrèrent sur la tour nord (celle de gauche). La nuit était tombée. Par moments une pluie irisée de cendres descendait sur nous. Des bribes d'info couraient : on n’était pas sûr de pouvoir sauver les tours. Si les tours étaient atteintes par le feu toute la structure s’effondrerait. La perspective de voir la cathédrale réduite à un tas de ruines était insupportable, impensable, sidérante comme la disparition d’un être proche…
Mais le miracle a eu lieu. Malgré l'effondrement de la flèche, l'éventrement de la voûte à la croisée du transept, la destruction de la charpente en bois (la «forêt»), les immenses dégâts dans l'intérieur — l'ensemble a tenu. Et miracle dans le miracle!, si je puis dire, alors que les conservateurs du monument — en extrême mauvais état avant l'incendie — étaient au désespoir de trouver les sommes astronomiques pour sauver l'édifice, qui nécessitait une restauration de fond en comble — ces sommes, et plus qu'il ne faut (850 millions d'euros collectés en quelques jours) sont venues, après l'incendie, grâce aux dizaines de milliers de donateurs du monde entier (grandes entreprises, mécènes, donateurs anonymes…), rendant possible une rénovation totale.
Force spirituelle
Et après cinq années d'un chantier titanesque (2000 ouvriers spécialisés et artisans, 250 entreprises), voici, sous nos yeux émerveillés, Notre-Dame qui revit, plus belle que jamais, éblouissante. Il est dit que Notre-Dame appartient à la culture mondialisée, au regard du nombre de touristes étrangers qui la fréquentent et de l'attrait patrimonial qu'elle a suscité. Cela est vrai.
Mais pour moi, Notre-Dame, c'est aussi et surtout une force spirituelle, qui relie passé et présent dans une même union — matérialisée par cet édifice mainte fois transformé, redressé, abandonné, retrouvé, restauré, depuis sa construction au Moyen-Âge.
Magnifique incarnation, en nos jours, de la force spirituelle qui émane de ce lieu : tous ces artisans d’art — architectes, ingénieurs, techniciens, compagnons — qui animés de cette énergie ont réalisé ensemble au chevet de Notre-Dame leur chef d'oeuvre, permettant de retrouver l'édifice restauré dans son intégralité, la pureté des lignes, l'élancement des voûtes, la vivacité des couleurs des peintures murales, la beauté de la statuaire, du mobilier d'art, des vitraux, la finesse de la marqueterie de marbre du choeur…
J'avais rencontré quelques-uns de ces artisans au Village du chantier, lors des Journées du patrimoine en septembre. Parmi eux, un des sculpteurs en charge de la restauration des sculptures en pierres présentes sur la façade et les hauteurs de la cathédrale, qui exposait ses techniques et son savoir-faire sur un prototype de la statue de l'ange du jugement dernier. Un échange avec lui qui m'a marqué, empreint qu'il était d'enthousiasme, d'amour du bel ouvrage et de la fierté de travailler, au sein de l'équipe des compagnons, sur le chantier de Notre-Dame.
Un compagnon témoigne : «C'est la bonne ambiance qui nous a fait tenir. Humainement, il y a quelque chose d’énorme et d’unique qui s’est créé à Notre-Dame. Pour moi, la plus belle partie de la cathédrale, ce sont tous ces gens qui ont travaillé ensemble.»
Ces compagnons s’inscrivent dans la lignée de tous ceux qui dans les siècles ont travaillé sur les chantiers de Notre-Dame, dont l’histoire est riche de rebondissements.
Deux ou trois choses que je sais d'elle
Le premier chantier de Notre-Dame — qui est destinée à remplacer la cathédrale primitive romane du VIᵉ siècle devenue trop petite — commence en 1163, et est formellement achevé en 1245 : 80 ans, ce qui est peu. Mais cette Notre-Dame-là, en cours de chantier, a été immédiatement remise en chantier — car après avoir construit, en premier, et très rapidement le choeur (consacré en 1182), en élevant ensuite la nef, alors qu'on allait vers la façade, on s’est rendu compte que le projet d’origine devait être revu; la cathédrale était très sombre : les fenêtres hautes du XIIᵉ siècle ont été transformées en cours de chantier, vers 1230, pour les rendre plus vastes. En 1225-1245, la partie haute de la façade et les deux tours sont achevées. À cette date, la cathédrale est en fait terminée.
Mais, deuxième période, les goûts, entre-temps, ont changé, le style gothique prend le dessus; aussi plusieurs parties de Notre-Dame, romanes — cette architecture un peu lourde, puissante
— vont être retravaillées, notamment le transept, avec les portails nord et sud et leurs fameuses rosaces, qui ornent chacun des bras du transept et sont parmi les plus grandes d'Europe. Ce chantier-là se terminera vers 1345.
Les XVᵉ et XVIᵉ siècles verront des aménagements et des restaurations. Les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles des transformations plus profondes, notamment dans la décoration intérieure de la cathédrale; le choeur est complètement réaménagé, le jubé (qui prenait la forme d’un mur sculpté fermant le chœur) démoli — à l'instar de bon nombre d'autres cathédrales gothiques dans toute l'Europe.
La Révolution a fracassé Notre-Dame très profondément; elle a failli même être vendue et dépecée, des statues ont été détruites, et l’édifice a été utilisé comme entrepôt; la flèche d’origine, construite vers 1250 (un clocheton qui abritait 5 cloches), démolie.
Notre-Dame de Paris en 1840
(Les statues des rois de Judée de la façade
et la flèche ont été détruites au temps de la Révolution)
L'intérêt pour la cathédrale a été ravivé grâce à Victor Hugo, qui a publié son célèbre roman Notre-Dame de Paris en 1831. Cette œuvre a sensibilisé le public à l'état de délabrement du monument. En 1844, un projet de rénovation est lancé sous la direction de l'architecte Eugène Viollet-le-Duc, qui s'inspire des goûts romantiques de l'époque, et a notamment ajouté la flèche emblématique, qui s'est effondrée lors de l'incendie de 2019, et a été reconstruite à l'identique.
Notre-Dame restaurée est sublime; en fait, on ne l'a jamais vue comme cela. Mystère des circonstances, qui ont permis cette vraie renaissance! En parodiant une formule du philosophe José Ortega y Gasset, j'aurais envie d'écrire, à propos de Notre-Dame : «Je suis moi et mes circonstances»!
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