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Soumission, de Houellebeck

 

 
Le hasard a voulu que le dernier livre de Houellebecq, « Soumission », largement promu, annoncé par une intense campagne médiatique, sorte le jour même des attaques terroristes contre Charlie Hebdo le 7 janvier. L’agent littéraire de Houellebecq a immédiatement fait savoir que la campagne de promotion était suspendue, et que Houellebecq, prudemment, se mettait au vert. De fait, il a, depuis, disparu de la scène. 
 
Le livre de Houellebecq n’était pas visé comme tel ; d’ailleurs Houellebecq, dans ce livre, non plus que dans ses autres écrits, ne prend pas parti : il observe, dit-il. À l’image de son héros - du narrateur - il prend ses distances : « Je ne suis pour rien du tout » (p.41). Le ton est désabusé, le personnage, intelligent, triste, « passablement résigné et apathique » (p.116), vit les événements, de l’intérieur de l’Université (il est professeur de littérature à la Sorbonne, spécialiste de Huysmans), avec « lassitude » : «Il arriverait ce qui doit arriver voilà tout » (p.56).
 
Les événements ? ceux que raconte le « roman » . Nous sommes en 2022, à la veille du second tour des élections présidentielles, Hollande vient de terminer son deuxième mandat ; les jeux politiciens UMP et PS les amènent à soutenir le parti de la Fraternité musulmane récemment apparu, pour faire échec au FN donné gagnant. Le candidat de la Fraternité musulmane, Mohammed Ben Abbes, un homme intelligent et visionnaire, qui veut plus dEurope, est élu président. La France sislamise, et se dessine une Europe dont le centre de gravité serait la Méditerranée et la couleur, le vert de l'islam.
 
La chose est donc arrivée. Le narrateur, qui se sent « aussi politisé quune serviette de toilette » (p.50), observe, constate, un peu médusé tout de même, le basculement quasi consenti de la société vers l'islamisation, sous l’égide de Mohammed Ben Abbes - islamiste « modéré »  au physique rassurant de « bon épicier tunisien de quartier » -  qui exerce sur tous une sorte de « magie hypnotique » : « La magie hypnotique quil répandait depuis le début continuait à opérer, et ses projets ne rencontraient aucune opposition sérieuse » (p.210).
 
Les signes d’islamisation de la société se multiplient. Le narrateur, au début, ne remarque pas grand chose, cependant, bientôt, on ne voit plus de femmes en jupe, les menus des restaurants sont hallals, certaines enseignes disparaissent etc.  Mais l’emprise est radicale sur les institutions. La Sorbonne, à laquelle appartenait le narrateur, devient une université islamique financée par les Saoudiens ; les nouveaux statuts interdisent aux anciens professeurs d’y poursuivre leurs activités d’enseignement. La nouvelle université ne recrute que des professeurs convertis à l’islam ; mariés de préférence, ce n’est pas obligatoire mais c’est idéologiquement plus correct ; dotés de plusieurs épouses [« il n’y a rien d’anormal à ce que les professeurs d’université soient rangés parmi les mâles dominants », la sélection naturelle est un principe universel ; en ce qui concerne l’homme, « ce qui lui assure sa position dominante dans la nature, ce ne sont ni ses griffes, ni ses dents, ni la rapidité de sa course ; c’est bel et bien son intelligence » etc.(p.292)], mariés donc, dotés de plusieurs épouses ; également dotés d’un salaire très conséquent, pour assurer...
 
Le narrateur, apathique, désabusé, se soumet : il se convertit à lislam, ré-intègre sa chaire à la Sorbonne, se marie, est doté de plusieurs épouses, et d’un très bon salaire. « Le sommet du bonheur humain réside dans la soumission » (p.260). Le roman se clôt enfin sur cette dernière phrase : « Je naurais rien à regretter »
 
 
Voilà donc une fable, un récit dérangeant, qui met en malaise, dont on comprend qu’il puisse attiser les peurs, et dans les circonstances que nous vivons être instrumentalisé. La peur, en soi, nest pas nocive : cest une émotion qui avertit dun danger ou dune menace.  Biologiquement parlant, la peur est un instinct de survie qui permet aux animaux d'éviter des situations dangereuses pour eux-mêmes ou pour leur progéniture. Mais les peurs et les fantasmes, cela s’attise, dans un but généralement insidieux.
 
Lanimal nanticipe pas sa mort ; lhomme, lui, sait quil mourra ; les civilisations aussi savent quelles sont mortelles. La peur, collectivement, qui est peur de la mort, peut conduire à des comportements aberrants doù lappréciation correcte de la réalité a disparu. Attiser les peurs, c’est jouer sur ce flou. Le livre de Houellebeck joue de ce flou : en fait danalyse, il est très court. Pas grand chose n’est livré de clés qui permettraient de tenter de comprendre ce qui se passe. Le narrateur reste coi. Tout ce qui est noté, c’est que le président Ben Abbes opère par magie hypnotique ! 
 
Quant au narrateur (Houellebeck), le personnage est affligeant. Désabusé, il mène une existence triste, sans joie, apathique, sans vie sociale, incapable d’aucune rencontre, cynique vis-à-vis des femmes qu’il instrumentalise et méprise, engagé en rien.
 
À la différence de Huysmans, sur lequel il a écrit une thèse et dont il est considéré comme le meilleur spécialiste - dont, par d'autres côtés, sa vie se rapproche -  il n’a pas de vie spirituelle, il est « sec » ; et se trouve incapable de comprendre sa conversion vers la fin de sa vie (Huysmans entre dans les ordres). 
 
Le désolant du roman est peut-être là. Un grand roman aurait pu jouer un rôle prophétique - non au sens de prédire le futur, mais de décrypter les signes des temps, lire les signes qui portent en germe, aujourd’hui, la réalisation, demain, de cet avenir menaçant, si rien ne change dans la société. Décrypter les signes des temps, cest aussi se tourner vers l’homme, rechercher et cultiver dans l’humain, aujourd’hui, les ressources (spirituelles) qui permettront, demain, de répondre aux défis ; en dautres termes : rechercher derrière le visible l'invisible, le réel qui est caché, le nous qui est l'humain.
 
Mais voilà, Houellebecq exècre tout cela, l’idée d'humanisme lui donne la nausée« Rien que le mot dhumanisme me donnait légèrement envie de vomir » (p.250). Soumission est « sec » pour ce qui est de contribuer en quoi que ce soit à l’approfondissement du spirituel.
 
Houellebeck na ni la dimension ni la puissance d'un prophète. Les qualités littéraires du roman, pour certaines quelles soient - malgré quelques pages ratées, ou bâclées, en milieu de récit - ne suppléent pas la pauvreté du fond.  Ce livre, à cause justement de son inconsistance romanesque, sera instrumentalisé, attisera les peurs au lieu de donner à réfléchir. Tout ceci sous le regard impavide de son auteur, qui se défendra bien de prendre parti, comme il en fit montre, la veille des attentats, sur le plateau de France 2. À la question de Pujadas : « Mais quand même, Michel Houellebecq, vous, que pensez-vous de votre narrateur, vous êtes daccord avec lui ? », Houellebecq ne trouve à répondre que : «Je ne sais pas, on ne sait pas, quand on écrit, on ne sait pas, on ne juge pas ».
 
Cest comme cela que commence la soumission.
 
 
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(photo Lionel Bonaventure AFP)


22/01/2015
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