Trou noir et horizon des événements
Trou noir central de la galaxie géante M87
(Photographie EHT)
Tous les médias ont bruissé le 10 avril dernier rapportant l’exploit scientifique qui a permis de livrer pour la première fois au monde une image historique : la photographie d’un trou noir.
Et certes c’est un exploit ! À mettre à l’actif d’un consortium scientifique international baptisé Event Horizon Telescope (EHT, littéralement le Télescope de l'horizon des événements) qui, en quelque sorte, a réussi à créer un super télescope virtuel à très haute sensibilité et très haut pouvoir de résolution en combinant les signaux reçus simultanément par huit radiotélescopes répartis sur la Terre. C’est cette antenne virtuelle gigantesque dont le diamètre équivaut à 10 000 kms (la distance entre les deux observatoires les plus éloignés) qui a permis de capter l’image du trou noir. Les choses dites comme cela paraissent presque simples, mais tout ceci a demandé plusieurs années de travail et beaucoup d’inventivité. Le défi a été immense à relever, et, donc, les médias se sont beaucoup intéressés à rapporter avec force détails et explications l’incroyable prouesse technique que représente cet exploit.
On a mis également en avant sur les réseaux sociaux, parce que c’est dans l’air du temps, la figure extatique d’une jeune chercheuse américaine, Katie Bouman, propulsée superstar par les médias, qui a participé au projet et rayonne de bonheur devant son ordinateur en découvrant l’image qui se forme sous ses yeux. C'est vrai que son bonheur fait plaisir à voir. Mais, comme elle le rappelle elle-même avec bon sens, « l’accent devrait être mis sur le travail incroyable de toute l’équipe [plus de 200 chercheurs issus de nombreux instituts de recherche répartis à travers le monde] et non pas d’une seule personne. Se concentrer sur une seule personne comme cela n’aide personne, à commencer par moi. »
Katie Bouman superstar» (AFP)
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Ce qui m’impressionne le plus pour ma part, au-delà de la prouesse technique et de ses aspects anecdotiques, c’est de considérer la réalité que l’image nous donne à voir.
Ce que représente la photographie, c’est le trou noir super massif de M87 ! une galaxie elliptique géante située à 53 millions d’années-lumière de la Terre. Si je comprends bien, cette image (qui n’est pas vraiment l'image du trou mais plutôt des alentours, puisque rien ne sort, pas même la lumière, d’un trou noir), ce qu’on voit sur cette photo, c’est la silhouette du trou noir telle qu'elle était il y a 53 millions d’années… Un trou noir au sens astronomique, de plus, c’est proprement hallucinant : une sorte de piège à matière et à lumière. Tout disparaît aspiré là-dedans sans jamais pouvoir revenir. Einstein avait prévu cela dans sa théorie de la relativité, bon, mais prévoir est une chose, voir en est une autre.
Cette réalité-là nourrit l’imagination : l’imagination en retour s’affole. Le trou noir supermassif de M87, qui équivaut à 6,4 milliards de fois la masse du Soleil, n’occupe qu’une portion réduite de sa galaxie, laquelle ne représente elle-même qu’une tête d’épingle dans l’immensité de l’espace… Et qu’est-ce qui se passe donc dans ce trou noir ? etc.
Me reviennent en mémoire certaines des Pensées de Pascal, comme celle-ci :
« Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l’éternité précédente et suivante, le petit espace, memoria hospitis unius diei praetereuntis [Le souvenir de l’hôte d’un jour qui passe (Sagesse, V, 15)], que je remplis et même que je vois, abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors : qui m’y a mis ? par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a‑t‑il été destiné à moi ? »
Autre pensée de la même liasse (les Pensées nous sont parvenues sous la forme de « petits morceaux de papier » enfilés en diverses liasses et sans aucun ordre) :
« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »
Éternel, espace… la méditation de Pascal s’abîme devant les perspectives fascinantes de l’espace-temps… Mais avec les trous noirs la perspective s’ouvre vers des horizons encore plus insondables. Les scientifiques appellent justement « horizon des événements » la barrière invisible qui délimite un trou noir (d’où le nom donné au télescope : Event Horizon Telescope, télescope de l'horizon des événements). Si on franchit cette barrière que représente l’ « horizon des événements » il n’y a pas de retour possible… Le piège se referme en ce point où la gravité et la densité de matière tendent vers l’infini…
Silence du questionnement sans réponse face à l'insondable profondeur des abîmes...
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