Réenchanter le monde
Le désenchantement face à un monde - trop vaste, trop rapide - qui nous échappe de plus en plus est un thème récurrent.
On perd ses repères, on perçoit difficilement où on va, si même la question du sens a un sens. Qu'est-ce qu'on fait, embarqués dans un monde poussière parmi des milliards de poussières d'étoiles, qui bruit de nos provinciales fureurs sur fond de silence interstellaire ?
Le désenchantement nous tombe dessus, comme le drap, échappé des mains d'une femme qui l'agitait à sa fenêtre, enveloppe brusquement le passant, devenu par surprise fantôme dérisoire, aveugle hagard.
Comment lever le voile, retrouver le mouvement, la liberté, la vue juste : réenchanter le monde... Il n'est pas à notre portée de réduire sa vastitude. Mieux vaudrait d'ailleurs plutôt travailler à habiter ce monde, comme on habite son corps, y mettant de l'esprit.
Quant à la vitesse, la chose est difficile. Je ne sais plus dans quel roman de Paul Fournel on lit ce dialogue : "- Personne n'a raison sur la vitesse du monde. C'est la vitesse qui a ses propres raisons. - Nous sommes maintenant dans la vitesse du monde. - Mais ce n'est pas notre vitesse".
Le réenchantement du monde viendra de notre capacité à nous le réapproprier - espace et temps - de l'intérieur. Difficile et nécessaire exercice auquel l'artiste peut apporter une immense contribution.
Nous étions l'autre soir dans l'atelier d'un ami à Grenoble. L'atelier occupe un magnifique espace au dernier étage d'un bâtiment qui hébergeait jadis une fabrique de gants - industrie qui fut traditionnelle à Grenoble. La magie des lieux chargés d'histoire ouvrière joue. Et le temps fait une pause.
Le regard se porte avec bonheur sur des oeuvres-fortes : dessins à la mine graphite, peintures, photographies... Etat de fait, Rencontre au sommet, A mes yeux, Ombre portée, Dernier bruit du jour, Pierre de lumières etc... autant d'oeuvres qui introduisent non pas dans un autre monde, mais font voir ce monde-ci autrement. Autant d'invites personnelles à cheminer vers le réenchantement.
Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté [René Char, Feuillets d'Hypnos]
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