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Une vie brûlée [Rimbaud... Amy Winehouse]

 

Une vie brûlée... Cette en-tête annonce un papier sur Rimbaud, bien sûr. Rimbaud qui, quinze ans avant sa vraie mort, entre dans le silence. On dit qu'il devient trafiquant d'armes ; lui qui reconnaît : "je sens le roussi, c'est certain" [Nuit de l'enfer] et avouera "trafiquer dans l'inconnu"...

"Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans"... [Une saison en enfer]. Dans les Illuminations, il imagine pour ses "vingt ans" [Jeunesse III] un mouvement lent de marche funèbre - "Adagio". Le poème en prose exprime la mélancolie de l'adieu : "... Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence ! Un choeur de verres [voeu d'une ambiance cordiale] de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser [terme de marine : un navire chasse sur ses ancres lorsqu'il ne reste pas stable]".

Avant d'entrer dans le silence, Rimbaud nous aura offert des fêtes de mots dont il est le seul inventeur. Tel un funambule - qui fait penser au funambule de Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, funambule qui chutera - Rimbaud se donne ce plaisir suprême : "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse" [Illuminations, Fragment sans titre].

La danse, qui nous renvoie à nouveau à Nietzsche, ce contemporain de Rimbaud [1872 :  publication de son premier livre philosophique, La Naissance de la tragédie, à partir de l'esprit de la musique ;  1878 : parution de la première partie de Humain, trop humain ; 1879 : prend sa retraite de professeur et commence une vie de voyage et d'errance ; 1883-1885 : publication d'Ainsi parlait Zarathoustra] qui écrivait : "Il faut encore porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante" [Ainsi parlait Z., Prologue]

Le 27 novembre 1875, Verlaine, l'ancien compagnon du "drôle de ménage", en mal d'informations demandait à Delahaye des nouvelles de Rimbaud, devenu Homais auprès de ses amis [depuis qu'abandonnant la littérature, il s'est mis à l'étude des sciences et des langues étrangères ; plus tard, au temps des grands voyages, il sera le Voyageur toqué, l'homme aux semelles de vent...]  : "... Si quelquefois tu avais quelques vers (anciens) de l'être, envoie, je te prie, copie. Mes "sonnets", ça m'est égal, tu sais. Je parle des vers d'avant son avatar et l'Homais actuel".

Sur cette demande de "vers anciens" de Rimbaud, Delahaye répondit :
      "- Des vers de lui ?
       - Il y a beau temps que sa verve est à plat. Je crois même qu'il ne se souvient plus du tout d'en avoir fait".

"Je parle des vers d'avant son avatar...", c'est-à-dire sa métamorphose, sa transformation. La vie d'avant a pris fin en octobre 1875, à la veille de son vingt-et-unième anniversaire. Son dernier poème Rêve - une curieuse improvisation de conscrit - nous est connu par un courrier du 14 octobre 1875.

Les spécialistes discutent encore pour savoir si les poèmes de Illuminations ont été écrit avant ou après Une saison en enfer. Peu importe pour la beauté. Les uns et les autres sont les poèmes d'une vie brûlée jusqu'à l'incandescence :

"Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient [...] J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie [...] - Cher Satan [...] je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné"  [Une saison en enfer].

Rimbaud est l'archétype d'une vie brûlée. C'est une illusion de croire qu'un archétype pourrait être finalement expliqué. On ne devrait jamais oublier que l'archétype est présent chez chacun - joue en quelque sorte le rôle que jouait le mythe chez les anciens.

Qu'est-ce que ça nous dit, une vie brûlée ? Il n'est que de constater l'émotion suscitée par la disparition tragique, le 23 juillet, de la chanteuse britannique Amy Winehouse.

Née à Southgate, au nord de Londres, le 14 septembre 1983, dans une famille ouvrière - son père est chauffeur de taxi, sa mère employée dans une pharmacie - elle grandit dans le bain du jazz. Étudiante dans une école de théâtre, elle s'en échappe à l'âge de 16 ans pour honorer de premiers engagements musicaux, à la croisée du jazz, de la soul et du rap.

Grande fille dégingandée, elle impose rapidement sur les scènes londoniennes sa silhouette longiligne, son corps d'oiseau supermaigre, son visage aux yeux charbonneux - et surtout sa voix d'un timbre singulier qui retient et emporte. Elle remet la soul des sixties au goût du jour, chantant des morceaux aux textes écorchés, qui disent le quotidien d'une banlieusarde aux prises avec les addictions. Ces addictions qui causeront sa perte. Elle brûle sa vie et rencontre son destin, désemparée, scandaleuse pourtant couverte de récompenses, qui n'arrive plus à assurer ses engagements, titube en scène, chante hors micro, pose sa guitare en plein répertoire - chante You Know I'm No Good à fendre le coeur... En 2006, alors que son manager tente de la convaincre d'entrer en cure de désintoxication, elle écrit Rehab, qui clame son refus de s'amender - et fera le titre d'ouverture de son deuxième album Back to Black, celui de l'unique consécration.

Amy Winehouse, partie à 27 ans ; Rimbaud, entré dans le silence à 21 ans -  "l'éternellement jeune Arthur Rimbaud qui s'est tu" [Aragon] : des vies brûlées qui nous dérangent de l'ordinaire banalité...

"J'ai avalé une fameuse gorgée de poison [...] Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon ! [...]
Ah çà ! L'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde [...]
Décidément nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las !  [...]
C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu [...]
C'est le feu qui se relève avec son damné".  
[Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Nuit de l'enfer]

"They tried to make me go to rehab ! I said no no no,
Yes I've been black but when I come back no no no,
I ain't got the time, and if my daddy thinks I'm fine,
They tried to make me go to rehab I won't go go go.
[Amy Winehouse, Rehab]

 

 



01/08/2011
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