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De la matière à l'esprit...chemins de traverse

 

 

 

 

 

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Traversant récemment d’Ouest en Est le massif de la Chartreuse en rando solo, je suis passé entre autres lieux remarquables par le monastère de la Grande Chartreuse, et aussi par Saint-Hugues-de-Chartreuse. 
 
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La montée de Saint-Laurent-du-Pont vers le Désert est toujours impressionnante, au creux des gorges sauvages du torrent du Guiers Mort — après avoir longé au bord des eaux l’ancienne distillerie des Chartreux à Fourvoirie, un bâtiment industriel du 19ᵉ siècle désaffecté, où a été fabriquée jadis la fameuse liqueur de la Grande Chartreuse, mais aujourd'hui la distillerie est abandonnée, comme un grand corps gisant le long du Guiers Mort… La lumière pénètre difficilement dans les gorges étroites, on franchit de multiples ponts, certains très anciens, on passe dans des tunnels creusés dans la roche, le pied bute sur les pierres du chemin... La matière ici est prégnante, le minéral l’emporte partout, la sensation de solide, de durabilité s’impose.
 
 
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Mais la montée continue, longue, régulière, et puis soudain, à un détour du chemin au niveau du Pic de l'Oeillette, le regard s'échappe enfin des oeillères que forment les flancs arides des gorges, et voici qu’apparaissent au loin de grands espaces de pâturages enclos dans les forêts, on approche du site du monastère de la Grande Chartreuse.
 
 
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Le site du monastère ne se laisse découvrir que petit à petit, on voit d’abord de grands prés pentus, puis apparaissent les bâtiments conventuels enserrés dans les formidables falaises du Grand Som (2026 m) qui domine de 1000 mètres le monastère — mais ce qui frappe d’abord c’est le silence qui entoure les lieux, non pas un silence vide (l’absence de bruit) mais plutôt un silence de plénitude. Ainsi la montée nous fait passer de l’univers matériel du minéral à un univers empreint de spirituel comme si il y avait continuité de l’un à l’autre.
 
 
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On me dira : tout cela, c’est de la poésie, ça ne sert à rien... Je dis Oui, j’assume. C’est justement parce que ça ne sert à rien, de marcher ainsi dans la montagne et se laisser imprégner de ces pensées, que c’est précieux. Ce vagabondage libère du sentiment de prégnance qu’on éprouve parfois vis-à-vis des sollicitations toujours renouvelées de consommation (consommation d'infos, news & actualités en continu ; consommation d’images agressives ; consommation de biens inutiles etc.) et des injonctions continuellement assénées à produire, performer, se maintenir dans la course etc.
 
 
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Poursuivant le chemin le lendemain, par grand beau temps, au-delà de Saint-Pierre-de-Chartreuse, me voici sur le magnifique site de Saint-Hugues-de-Chartreuse. L’église de Saint-Hugues, devenue musée départemental d'art sacré, entièrement décorée par Arcabas, n’était pas pour moi une découverte, je l’ai visitée à plusieurs occasions. Mais cette fois-ci était différente. J’étais seul, le matin, à l’ouverture, et personne n’est venu, aucun visiteur, de toute l’heure que j’ai passée, en pleine immersion dans l’oeuvre d’Arcabas.
 
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Comme on sait, Arcabas, de son vrai nom Jean Marie Pirot, jeune artiste inconnu de 26 ans, obtient en 1951 du maire et du curé de Saint-Hugues-de-Chartreuse de peindre des fresques sur les murs de l’église en réfection. Ce sera le début d’une sorte de Grand Œuvre que réalisera Arcabas sur trois périodes pendant plus de 30 ans. Chaque période a ses caractéristiques bien définies. 
 
Il faudra assez vite renoncer à l'idée de fresque ou toute autre forme de peinture à même les murs, en raison de l'humidité. Arcabas peint alors — ce sera la première période — de grands motifs sur de la toile de jute, matériau imputrescible qui va couvrir tous les murs de la nef, avec des couleurs liées au jaune d'oeuf et au miel. Le rouge sombre est la couleur dominante de l'ensemble qui évoque la vie terrestre (nef) et la vie divine (choeur).
 
Deuxième période : Arcabas rompt avec la sobriété et l'austérité de la première période. Les représentations deviennent abstraites, les couleurs, vives, sont rehaussées d'or. Le bestiaire (dont Arcabas disait : "Le bestiaire a pour tradition de parler de l'homme en parlant des animaux"), dans le choeur, est particulièrement parlant : l'agneau, image de l'homme confronté à ses limites ; le loup, qui représente la puissance et la cruauté ; le hibou, image de la sagesse car, oiseau nocturne, il peut trouver son chemin dans la nuit ; l'araignée, qui évoque le besoin de l'homme de créer des liens...
 

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Le hibou, symbole de la sagesse
 
La troisième période enfin est caractérisée par le retour de la peinture figurative, dans un feu d'artifice de couleurs, racontant 53 épisodes évangéliques, chacun magnifiquement illustré.
 
 
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Le retour de l'enfant prodigue
 
 
L'ensemble de ce Grand Œuvre est sublime et me convainc, observant comment la matière, les pigments, les couleurs vives, l'or participent à la transmutation de l'oeuvre, combien multiples et mystérieux sont les chemins de traverse qui vont de la matière à l'esprit...
 
 
 
PS
Pour faire plaisir à Jean-Claude (commentaire ci-dessous) j'ajoute l'Ange à vélo !
 
 
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21/09/2019
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