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Sortir du cocon du confinement

Ci-après des réflexions de mon épouse Chantal sur la sortie du confinement :

 

 
 
Un récent échange téléphonique avec un ami qui me disait déprimer depuis la fin du confinement m'a amenée à me poser la question de ce que je ressentais en profondeur dans cette période de déconfinement. 
En ce qui me concerne, j'ai tout de suite pensé à un malaise insaisissable, en tous cas un sentiment de flottement assez inconfortable. Depuis, j'ai pu constater que ce sentiment de malaise était partagé par un grand nombre de personnes. 
Dans un premier temps je me suis étonnée de ce ressenti, tant on pouvait imaginer que le soulagement, le sentiment de libération — après cette période de contrainte imposée — allaient exploser en balayant ou en refoulant tous les aspects négatifs lés à ce moment.
 
Remontons un peu en arrière au temps du confinement.
Nous avons vécu pendant deux mois dans un cocon, une bulle, disent certains.
Nous pouvions vivre cette situation bien ou mal ou les deux à la fois, assez souvent d'ailleurs, avec une certaine ambivalence. Mais la caractéristique essentielle du cocon c'est qu'il est protecteur, sécurisant par rapport au monde extérieur qui, lui, se montrait alors insécurisant, source de peur. Ce milieu clos, protégé et protecteur nous invitait tout naturellement au retour et/ou au repli sur soi. Situation qui a libéré en nous des rêves, des possibles non encore explorés.
De manière générale, dans cette situation qui peut s'assimiler à un cocon, nous opérons comme une régression qui fait écho à des états antécédemment vécus à d'autres moments de notre vie, et qui nous font remonter aux fantasmes du ventre maternel. 
J'ai été frappée, à travers de nombreux témoignages, de voir à quel point nombre de gens ont vécu cette période comme un moment positif, privilégié : des personnes ont eu l'impression de découvrir ou de renouer avec quelque chose de très intime pendant cette période et qui était source de grand plaisir. La reconnexion intime avec la nature, la terre, le jardinage, par exemple, est souvent évoquée. À un autre niveau, le rapport avec les enfants, les relations intra familiales. Un nouveau mode d'alimentation et de consommation... Bref, des choses qui ont rapport aux fondamentaux de la vie et qui représentent les points d'ancrage basiques de notre vie d'humains.
Et cela vaut autant pour l'individu que sur le registre social. Les points de repères ont été bousculés, les curseurs des valeurs se sont déplacés. Les relations des Français aux soignants, aux caissières, aux éboueurs, aux livreurs : la manière de les voir, de les considérer ont changé d'angle de vision, naturellement. Ces travailleurs sont devenus des gens qui prenaient soin de nous et dont nous dépendions vitalement ;  ils n'étaient plus ces êtres réduits dans le carcan d'une fonction sociale dévalorisée, désincarnée, abstraite et dévitalisée. Nous les considérions sous un autre angle, sur un autre registre de valeurs, beaucoup plus concrètes et gratifiantes humainement.
Cela a pu se produire dans cette période extra-ordinaire, et ce n'était pas le fruit d'une volonté imposée par une idéologie ou une morale. 
Cette période — par certains côtés très privilégiée — nous a apporté l'opportunité de remettre du sens dans le travail et dans la vie, tant sur le plan individuel que collectif et social. 
 
Et maintenant le déconfinement. En fait, même si le soulagement et le sentiment de libération se sont exprimés, on assiste aussi à des manifestations plus ambivalentes, voire des phénomènes de décompensation. 
Le climat d'incertitude tient — bien sûr — au fait que la menace du virus pèse toujours, mais pas seulement.
Le déconfinement annonçait symboliquement la sortie du cocon. Il a déclenché aussi une vague d'angoisse avec la peur de la confrontation au réel, la crainte d'être repris par le poids du réel. La réflexion de Jean-Yves Le Drian souvent reprise : "Le monde d'après sera comme le monde d'avant, en pire", peut devenir, si nous n'y prenons garde, une phrase incantatoire qui va favoriser cette régression.
Pendant le confinement, nous avons vécu comme entre parenthèses par rapport au réel. En sortir n'a pas été confortable et nombre de gens l'ont fait précautionneusement, timidement, en prenant leur temps, en s'essayant progressivement à reprendre contact avec le monde extérieur. Et on voit encore des réactions extrêmes de personnes paralysées par la peur. Celle-ci se fixe sur le virus, mais en fait, derrière la peur du Covid, se cache une peur plus diffuse et sournoise, mêlée à cette appréhension à sortir du cocon.
Il faut évoquer à ce propos les termes de distanciation sociale, de gestes barrières : des mots chargés de crainte et d'appréhension.
 
Cette période de déconfinement est donc une période sensible, délicate du point de vue émotionnel, et elle est aussi pleine d'enjeux.
Pour l'éclairer, je me réfère à la notion d'espace transitionnel. Au départ, l'objet transitionnel est un terme employé par le pédopsychiatre anglais Winnicott pour désigner l'objet en peluche (le doudou) que le petit enfant tient contre lui, en particulier au moment de l'endormissement et lorsqu'il sort de son monde familier. Cet objet permet à celui-ci de passer de la fusion avec la mère, à la relation à elle, puis avec le monde extérieur. Il signifie l'intermédiaire provisoire entre l'extérieur et l'intériorisé. Le grand changement à opérer, pour l'enfant, est le passage de la dépendance à l'indépendance. Par extension, l'espace transitionnel désigne l'entre-deux états, c'est à dire l'aménagement d'une expérience de transition du dedans vers le dehors.
Aujourd'hui, nous sommes dans une phase transitionnelle, un passage entre le dedans (le cocon) et le dehors (la reprise de contact avec le réel).
À l'image du petit enfant au moment où il va quitter l'univers du cocon maternel. Son doudou va jouer un grand rôle pour l'accompagner à s'aventurer dans le monde "extérieur" qu'il va progressivement explorer. 
Ainsi nous avons vécu dans un espace "protégé" où nous nous sommes ressourcés, reconnectés, où nous avons vécu, expérimenté de nouveaux modes de vie, de nouvelles relations, un espace où on pouvait s'essayer, s'exprimer, réaliser, sans craindre la sanction du réel et qui était source de gratification et de sens. Forts de ces expériences que nous avons vécues comme possibles, celles-ci vont nous accompagner (comme le doudou) pour nous aventurer dans la vie extérieure.
La sortie du confinement nous confronte donc au réel.
Il s'agit d'une "épreuve", un passage qui prend tout son sens et son importance du fait qu'il est une étape obligée vers l'indépendance, l'autonomie, la création. Le risque, c'est de ne pas supporter la peur, l'angoisse liée à l'insécurité propre à ce passage, donc de vouloir nier toute cette période fructueuse qui a favorisé, voire autorisé le retour à nos racines et à des aspirations intimes, qui a remis du sens dans notre vie et la vie de notre pays. 
Le risque majeur, c'est la régression à l'état pré-confinement, comme si rien ne s'était passé. 
Et cela est valable tant au niveau individuel que social. 
 
Il n'y a pas seulement à craindre pour l'avenir qui sera donné aux promesses d'augmentations de salaire faites aux soignants, par exemple. Il y a fortement à craindre pour le devenir de nos ancrages retrouvés, nos rêves, nos découvertes. Craignons que ceux-ci soient inhibés et refoulés par notre découragement face à l'épreuve du réel, en nous faisant revenir au "comme avant". Oublier ces moments intimes passés avec soi-même, oublier ces moments goûtés de temps retrouvé, ces moments de silence et de proximité avec la nature, de sens redécouvert avec notre entourage et les autres...
Le pire à craindre, ce ne sont pas les gestes barrières, mais les barrières que nous pourrions être tentés d'ériger entre nos aspirations et leurs réalisations.
 


31/05/2020
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