Des start-ups dans la Silicon Valley
Un récent séjour familial à Palo Alto m'a donné l'opportunité d'observer de près le phénomène des start-ups dans la Silicon Valley. Il s'agit bien d'un phénomène au sens philosophique, "objet d'expérience possible, qui apparaît dans l'espace et dans le temps". L'espace, ici, c'est la Silicon Valley ; le temps, l'aujourd'hui qui construit le futur ; l'objet, l'émergence en ce lieu et dans ce temps de multiples start-ups prometteuses.
Ce qui constitue ce phénomène, ce sont donc ces start-ups qui trouvent ici une terre d'élection. Mais pourquoi ici précisément, dans la Silicon Valley, cette partie sud de la région de la Baie de San Francisco, dont le coeur est Palo Alto ?
La Silicon Valley accueille les sièges sociaux et campus de nombreuses entreprises high tech comme Apple (Cupertino), eBay [pour Echo Bay Technology] (San José), Facebook (Menlo Park), Google (Mountain View), Hewlett-Packard (Palo Alto), Intel (Santa Clara), Yahoo! (Sunnyvale) etc. La présence de ces entreprises emblématiques et celle de l'université de Stanford (dont sont issus les fondateurs de Hewlett-Packard, de Google, de Yahoo!, d'autres encore) ont contribué pour beaucoup à la culture entrepreneuriale de la vallée et favorisent l'émulation de jeunes pousses grâce à la tradition de collaboration et de réseau qui s'est développée ici - mais ne l'expliquent pas à elles seules. Il faut d'autres ingrédients.
Ce qu'il faut pour lancer une start-up c'est : beaucoup de travail et d'allant ; des idées réellement novatrices ; la capacité à lever des fonds ; et être un peu fou.
Beaucoup de travail et de passion : que ce soit ici ou ailleurs, le créateur ne ménage pas sa peine ; mais ici l'ambiance est porteuse (jusqu'au climat énergisant : ciel bleu quasi tous les jours de l'année, fraîcheur matinale revigorante) ; la passion est partagée, l'esprit de libre entreprise largement répandu dans l'opinion - au point d'en faire le sujet d'une émission de télé-réalité des plus regardées Shark Tank [https://www.youtube.com/watch?v=j7C2xsrjLUI] : de jeunes entrepreneurs viennent présenter leur projet devant un jury de cinq personnes qui après débats investissent éventuellement de leur argent personnel à leur risque dans le projet. Difficilement imaginable dans le contexte français...
La culture du risque s'est peut-être aussi développée ici, dans la Silicon Valley, du fait de la présence d'un risque permanent, qui occupe tous les esprits et à coup sûr l'inconscient, auquel les gens se préparent y compris en répétant et intégrant des consignes, je veux parler du risque sismique. Des trois failles qui traversent de part en part la Californie, la plus connue, et la plus redoutée, la faille de San Andreas, suit exactement le trajet de la Silicon Valley. La prégnance de ce risque imprègne les mentalités. La géologie aussi contribue à façonner un état d'esprit.
Autre ingrédient : des idées réellement novatrices. Si vous voulez créer une start-up, inutile de commencer par une étude de marché. Steve Jobs aurait-il jamais créé les produits d'Apple s'il s'était enquis des besoins des clients ? [Jobs : "Est ce que Graham Bell a fait une étude de marché avant d'inventer le téléphone?"] Bell, Jobs ont simplement imaginé ce qui n'existait pas ! Idem pour le créateur de start-up. Avantage ici dans la Silicon Valley : tout le monde (parmi les créateurs) pense à cela, à imaginer un futur qui n'existe pas. Ambiance porteuse encore. Demain c'est aujourd'hui. Le milieu est particulièrement créatif - lié de plus à la proximité de l'intelligentsia de San Francisco, connue pour son sens de la liberté et son non-conformisme.
Troisième ingrédient, le nerf de la guerre comme on dit : trouver de l'argent disponible. C'est un autre avantage, décisif, de la Silicon Valley : de l'argent, non seulement il y en a (de l'argent gagné à travers de nombreuses success stories) mais il est accessible par le biais d'un réseau efficace de financeurs recherchant à la fois la rentabilité et l'enthousiasme de l'innovation. Ces sociétés de capital risque (venture capital) apportent un financement sous la forme d'une prise de participation minoritaire et temporaire au capital de start-ups dont l'activité présente un fort potentiel de développement.
Un exemple : je pense à Y Combinator, une entreprise de financement précoce de start-ups, crée en mars 2005 par Paul Graham à Mountain View. Le principe est le suivant : YC sélectionne une soixantaine de start-ups deux fois l'an [sur 2000 à 3000 candidats du monde entier qui déposent un dossier, 300 environ sont sélectionnés sur dossier, 60 retenus en finale après entretien]. Les soixante finalistes vont pendant 3 mois suivre une sorte de session à Mountain View au cours de laquelle ils pourront rencontrer des anciens de YC, affiner leur projet, et se préparer au Demo-Day sur lequel se clôt le cycle : ce jour-là chaque créateur a 2 minutes et 30 secondes pour présenter sa start-up devant un aréopage très sélectionné composé des investisseurs les plus renommés. YC a ainsi contribué à financer plus de 600 start-ups depuis sa création.
Voilà donc quelques ingrédients de la réussite qui trouvent un bon terreau ici dans la Silicon Valley.
Reste un dernier ingrédient - mais celui-là, c'est celui, comme dirait René Char, des "matinaux", des "gens d'aurore", que le poète appelait à "l'aventure personnelle, l'aventure prodiguée communauté de nos aurores" : être un peu fou...
La fidélité à la rougeur matinale...
Stay Hungry. Stay Folish !
(Soyez insatiables. Soyez fous !)
[Steve Jobs, Discours aux diplômés de Stanford, juin 2005]
Présentation au YC Demo-Day le 25 mars 2014
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