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Désarroi

 

Le sentiment nous prend parfois d’un grand désarroi quand tout semble autour de nous se détraquer, au point de perdre son sens : ainsi de l’Éducation, de la Santé, des services publics, d’une certaine civilité… tout cela qui faisait le socle d’un certain vivre-ensemble paraît tomber inexorablement en déliquescence sous nos yeux. La tentation est grande de baisser les bras, abandonner.
 
 
Et pourtant, relisant ces jours-ci les écrits d’Etty Hillesum, cette jeune femme juive des Pays-Bas connue pour avoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, tenu son journal intime (Une vie bouleversée) [1941-1943] et écrit des lettres (Lettres de Westerbork) [1942-1943] depuis le camp de transit de Westerbork, je suis sensible à ce qu’elle dit — elle qui s’est trouvée confrontée à des situations extrêmes dramatiques : qu’il ne faut pas abandonner à la décision du sort les réalités auxquelles nous sommes confrontés, mais nous mettre en situation de recueillir en nous ce qui de ces réalités, après décantation, pourra se muer en facteurs de mûrissement :
 
«  Il me semble parfois que toute situation nouvelle, qu’elle soit meilleure ou pire, comporte en soi la possibilité d’enrichir l’homme de nouvelles intuitions. Et si nous abandonnons à la décision du sort les dures réalités auxquelles nous sommes irrévocablement confrontés, si nous ne leur offrons pas dans nos têtes et dans nos corps un abri pour les y laisser décanter et se muer en facteurs de mûrissement, en substances d’où nous puissions extraire une signification, — cela signifie que notre génération n’est pas armée pour la vie. » 
 
De la sorte, pour reprendre son expression, nous nous « armons pour la vie ». : la vie, dont Etty affirme par ailleurs si souvent, dans les conditions atroces de l’expérience des camps qu’elle traverse, qu'elle est belle malgré tout  : « Et pourtant je trouve cette vie belle et riche de sens. À chaque instant. » Et ce, à la grande stupéfaction de ceux qui l’entendent.
 
Y a-t-il là une contradiction ? Ce qui se fait jour et nous interpelle dans la figure d’Etty Hillesum, c’est plutôt la paradoxale humanité d’une femme qui accepte sans accepter, qui a pleine conscience de ce qui se passe autour d’elle et qui, cependant, n’accepte pas d’y succomber.
 
Ce chemin qu’elle trace, à travers ses contradictions, ses souffrances, son empathie pour les autres et, par-dessus tout, son amour pour la vie, relève d'un véritable itinéraire spirituel. Cet itinéraire se propose à nous aujourd’hui pour nous guider dans les difficultés présentes.       
 
Le « désarroi » que nous éprouvons peut prendre un autre sens : non celui, passif, de subir « désordre »,             « trouble » ou « incertitude » —mais celui, actif, qui est le sens étymologique : « se désencombrer ». Jadis les grands de ce monde sortaient de leur palais en grand « arroi » : carrosses, chevaux, étendards, parades de toutes sortes… Cheminer en « désarroi », c’était s’aventurer sans arroi, désencombré de tout train, équipage, appareil.  
 
À l’instar d'Etty Hillesum qui s’est progressivement désencombrée de son moi, pour faire le vide et ménager l’espace intérieur propice au recueillement. Jusque dans l’acte d'écriture, où elle a la volonté de se désencombrer de l’excès des mots pour laisser place au silence, comme elle vient à en prendre conscience en contemplant une estampe japonaise : 
 
« Cet après-midi, regardé des estampes japonaises. Frappée d’une évidence soudaine : c’est ainsi que je veux écrire. Avec autant d’espace autour de peu de mots. Je hais l’excès de mots. Je voudrais n’écrire que des mots insérés organiquement dans un grand silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchirer ce silence. En réalité les mots doivent accentuer le silence. Comme cette estampe avec une branche fleurie dans un angle inférieur. Quelques coups de pinceau délicats— mais quel rendu du plus infime détail ! — et tout autour un grand espace, non pas un vide, disons plutôt un espace inspiré. » 
 
Ainsi la figure d’Etty Hillesum peut-elle être source d’inspiration pour vaincre notre désarroi.
 
 
 
Une visite à la roseraie de Bagatelle a prolongé mon émotion. Les roses en cette mi-juin devraient être en pleine floraison, et voilà que nous les trouvons, en cette saison, comme défraichies, inclinant déjà vers le deuxième versant, offrant une beauté fragile en suspens. Comme ce monde habituel qui fane perdant saveur et sens...
 
 
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18/06/2022
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