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Elisabeth Badinter, fille et femme des Lumieres


Que penser du battage mediatique autour du dernier livre d'Elisabeth Badinter sur la femme et la mere ? Les idees defendues valent-elles ce bruit ? Je laisse la parole a mon epouse Chantal.


Ces dernières semaines, vous n'aurez pas échappé au phénomène médiatique « Elisabeth Badinter ». Tous les journaux, toutes les revues, sans oublier les radios (une journée entière sur France Inter) se sont relayés  pour nous inonder de sa personne à l'occasion de la sortie de son livre «Le conflit, la femme et la mère». En fille et femme de pub (fille de Marcel Bleustein Blanchet, Présidente du Conseil de Surveillance et l'une des principales actionnaires du groupe Publicis, groupe souvent critiqué pour ses publicités sexistes), elle s'est exposée sous les lumières de la rampe des media.
 
Le titre de son ouvrage est certes accrocheur car il rejoint les préoccupations de nombre de femmes qui jonglent en acrobates entre leurs responsabilites multiples. Mais, sur le fond, qu'apporte réellement Elisabeth Badinter au débat ? D'où vient tout ce bruit autour de son livre : s'agit-il d'un effet de pub  ou d'un apport pertinent dans les débats autour de la femme dans son rôle de mère aujourd'hui ?
 
Dans un ouvrage paru en 1980, « L'amour en plus », l'essayiste remettait en cause la notion d'instinct maternel. Aujourd'hui, partant de ce postulat - qui est le sien - comme d'un acquis, elle proclame : «Alors qu'on pensait en avoir fini avec le vieux concept d'instinct maternel, d'aucuns reviennent à charge sous couvert d'études scientifiques… ». Elle dénonce le retour en force d'une idéologie oubliée : le naturalisme qui remettrait l'instinct maternel à la mode, Elle conjure « une idéologie naturalo-maternaliste » qui fait l'apologie de la mère idéale,  de la mère parfaite qui se charge d'obligations de plus en plus lourdes (dont l'allaitement sur lequel EB se focalise) pour se conformer à la nature.
Les coupables de ce retour en arrière ? L'auteur s'en prend avec force ironie et sentences péjoratives à l'écologie qui irait contre le liberté des femmes. Dans cette « sainte alliance des réactionnaires », elle fustige aussi la pédiatrie américaine qui s'appuie sur les sciences modernes (biologie, socio-biologie, anthropologie, éthologie, etc..) pour rappeler aux mères leurs liens avec « la mère nature » .
Et, pour couronner le tout, elle accuse les femmes elles-mêmes d'être responsables de leur propre malheur. D'abord, elle accuse le mouvement féministe d'avoir « opéré un tête-à-queue », en donnant naissance à « une nouvelle génération de féministes qui considère la maternité comme l'expérience cruciale de la féminité à partir de laquelle construire un monde plus humain et plus juste» et qui revendique une différence identitaire. Après s'en être prise aux mouvements féministes, c'est le tour des femmes en général : « Une nouvelle génération de femmes qui avaient des comptes à régler avec leurs mères féministes furent les premières à écouter les sirènes du naturalisme », affirme-t-elle.
 
Ainsi tout le pamphlet est placé sous le signe de la régression. Les femmes sont en pleine involution. Pour étayer sa thèse et porter ces jugements, Elisabeth Badinter fait un retour dans le passé : « Il faut, dit-elle, remonter à plusieurs siècles en arrière pour tenter de comprendre le comportement actuel des Françaises ». Elle qui est spécialiste du siècle des Lumières se réfère à cette période de l'histoire comme modèle et référent. « Force est de constater, souligne-t-elle, que les devoirs maternels sont réduits à peu de choses au siècle des Lumières… Pour les femmes les plus favorisées, leur épanouissement se réalise dans la vie mondaine » , ou  encore : « Nos aïeules du siècle des Lumières nous ont légué ce modèle peu commun d'une femme émancipée, déchargée des soucis du maternage… ». Elle parle, en fait, d'une classe privilégiée dans laquelle ne pouvaient hier et ne peuvent encore aujourd'hui se reconnaître la plupart des femmes.  Par ailleurs, le féminisme auquel elle se réfère et dans lequel elle se reconnaît, est celui de Simone de Beauvoir « qui ne voyait dans la maternité qu'un épiphénomène dans la vie des femmes »
Ainsi, forte de sa référence à l'âge d'or que représente pour elle le dix huitième, Elisabeth Badinter ne fait que pointer des régressions, avec menaces et mises en garde à l'appui. De ce fait, son discours se révèle culpabilisant, négatif et dévalorisant à l'égard les femmes d'aujourd'hui puisqu'elles régressent par rapport aux femmes des Lumières, par rapport aux féministes des années 70 et par rapport à leurs mères !
 
Or peut-on analyser et comprendre les phénomènes sociaux contemporains en se contentant de regarder dans le rétroviseur du passé ? Cette posture me semble terriblement réductrice. Pour comprendre le présent, saisir les tendances qui se profilent pour l'avenir, il s'agit de sortir des cadres de référence dans lesquels nous enferme le passé, pour s'ouvrir à la nouveauté de phénomènes émergents qui ne sont jamais une pure répétition du passé. (Ainsi, interpréter le retour à la nature comme un simple retour du rousseauisme me paraît simpliste et caricatural). Il est vrai qu'aujourd'hui l'aspiration écologique s'affirme dans la mentalité contemporaine comme une tendance mais aussi une nécessité. La terre, la nature -  et pas seulement « notre bonne vieille mère nature » - nous rappelle ses lois et ses exigences et ce phénomène, comme par effet de capillarité, imprègne tous les comportements sociaux. Loin de justifier une sorte de fondamentalisme naturaliste, il faut bien composer avec ces données. C'est en se situant dans le sens du mouvement actuel qu'on peut le comprendre (dans le sens de "prendre avec"), et non pas en allant à contre courant et en freinant des quatre fers, au nom du passé.
 
Par ailleurs, en ce qui concerne l'éternel dilemme nature/culture sous-jacent à la question de l'amour maternel, Elisabeth Badinter s'installe, voire se rigidifie, dans un mode de pensée simple, binaire. Pour elle, le rapport nature/culture ne peut être qu'exclusif. Or le mode de penser complexe nous incite à sortir de ce type de rapports binaires, dualistes, pour penser en termes plus ouverts. L'homme conjugue nature et culture de manière indissociable et inextricable, et que se reconfigure, se restructure, se déconstruit, se reconstruit de manière infinie, en fonction de l'histoire, des cultures, des sociétés, etc …
 
Elisabeth Badinter, fille et femme des Lumières - celles des feux de la publicité et des media, et celle des philosophes du dix huitième siècle - n'éclaire pas beaucoup la femme d'aujourd'hui, celle qui est aux prises avec ses contradictions entre ses rôles de femme et de mère.
Voilà un battage médiatique autour d'un livre qui n'apporte pas grand  chose au débat.
 
 



19/03/2010
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