voilacestdit

voilacestdit

L'émergence Trump

 

 
 
Pas mal d’événements ces derniers temps font penser à des signes annonciateurs auxquels on n’a pas prêté, pas voulu prêter attention, comme sur le Titanic la présence annoncée des icebergs droit devant n’a pas inquiété, pas alerté le commandant, qui n’a pas jugé bon de modifier sa trajectoire, sûr qu’il était de son paquebot réputé insubmersible.
 
Robert Desnos dans La liberté ou l’amour ! : "Qu'ils me font rire ceux qui prétendent faire autre chose dans cette tempête que des gestes désespérés de moulins à vent, des contorsions de cerfs-volants, des mouvements arbitraires d'ailes, ceux qui se prétendent timonniers capables d'aller au port, ceux pour qui doute n'est pas synonyme d'inquiétude, ceux qui sourient finement !"
 
Le Brexit, l’élection de Trump… des événements à propos desquels les esprits s’échauffent. La cocotte-minute siffle et crache sa vapeur, tout le monde y va de son explication, les médias n’en finissent plus d’analyser, re-analyser, les politiques tirent la couverture à eux, certains voyant dans l’iceberg leur bonne étoile etc. Quoi de neuf ? Le bateau coule et l’orchestre continue à jouer sa partition.
 
On peut s’en prendre - à juste titre! et c’est important de le dénoncer ! - à l’amoralité du président élu, son incroyable aplomb, son sexisme, son cynisme, sa capacité à vilipender les minorités, craindre son comportement qui a montré tout au long de sa vie à quel point il peut être imprévisible… Le risque, je le ressens comme cela, c’est qu’en termes d’analyse on en reste là, on ne sorte pas d’un registre classique, qui juge les choses à l’aune de la bienséance - on continue de jouer notre partition. On peut aussi s’interroger sur la fiabilité des projections, s’interroger sur le pourquoi on n’a rien vu venir etc. - on continue encore de jouer notre partition. Alors qu’il s’agit de prendre la mesure de l’événement.
 
J’entends dire : La démocratie n’a pas été conçue pour porter au pouvoir un personnage comme cela. Elle n’a pas été inventée pour installer à son sommet une personne qui nie les idéaux mêmes qui la sous-tendent, le respect de chacun, l’égalité entre les citoyens, l’esprit de concorde.
 
Je ne pense pas, quant à moi, que ce soit la démocratie en tant que telle qui soit en jeu. Mette en cause la démocratie, c’est comme casser le thermomètre. De fait le processus démocratique a permis l’émergence d’un Trump. La question est : qu’est-ce qui a rendu possible cette émergence ?
 
J’emploie à dessein le mot « émergence », en référence à l’analyse systémique. Dans un système, composé d’éléments différents, parties ou acteurs, on appelle « émergence » l’apparition d’une propriété nouvelle, qualitativement autre, non présente au niveau des éléments internes, que ces parties ou acteurs produisent du fait de leurs interactions entre eux.
 
Parmi les ingrédients de l’émergence Trump, on peut repérer entre autres, me semble-t-il, dans notre société en pleine mutation, l'interaction du numérique, des nouvelles formes d’organisation en réseau, et des ruptures économiques.
 
Le passage aux technologies numériques (ordinateurs, connexion internet, téléphone portable) a complètement changé notre vie quotidienne, nos comportements, notre relation au temps et à l’espace, pouvant dessiner un homme différent, qui vit dans l’immédiateté, attache plus d’importance à la perception qu’au contenu, à la virtualité qu’à la réalité, un homme sans gravité (Melman) en quelque sorte, sans attache, fan de téléréalité (Trump animateur vedette de téléréalité).
 
Cet homme, plongé dans un monde qui devient de plus en plus complexe, tissu d’interrelations, effervescence de réseaux, fonctionne de manière de plus en plus intuitive, n’a plus le temps d’être rationnel. Le réseau l’emporte sur la raison. Le nombre de followers est un argument d’autorité (25 millions d'Américains followers de Trump).
 
A ces ingrédients s’ajoutent les ruptures économiques. Les inégalités, créées par un système qui produit de la richesse en concentrant le pouvoir sur un petit nombre, accroissant les déséquilibres, laissent un grand nombre sur le bord de la route, en grand désarroi, inquiets pour leur avenir, privés d’espérance en un monde meilleur pour eux et leurs enfants (Trump porté au pouvoir par l'Amérique profonde des Blancs déclassés laissés pour compte).
 
Tous ces ingrédients qui interagissent entre eux sont à même de produire dans notre propre société des émergences de même nature que le phénomène Trump. Icebergs en vue ! Mais l’impression qui domine est que le paquebot continue imperturbablement sur sa trajectoire. Politiques, médias, continuent de jouer leur partition… jusqu’à ce que tout sombre, ils continueront de jouer. Banalité du mal (Hannah Arendt) :  Une émergence qu’on appelle nazisme s’est produite en Allemagne dans les années 30 à l’insu des mêmes.
 
Une propriété émergente n’apparaît pas magiquement. Voulue, elle est le fruit d’un fonctionnement maîtrisé. Non voulue (panne de machine, maladie du corps humain, effet politique néfaste etc.), elle est le fruit d’un fonctionnement du système non maîtrisé. Reprendre la maîtrise du système pour éviter une émergence de type Trump demandera autre chose que jouer les mêmes partitions. 
 
 


16/11/2016
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 101 autres membres