L'inespéré mieux que n'importe quelle aurore
Par ces temps-ci, et même au milieu des airs de fête de nouvel an, tout le monde semble bien fatigué des événements, las de n’entendre parler à longueur de journées que de variants, de vaccins, de passes, de nouvelles mesures sécuritaires etc — nous voilà co-vidés.
Des sondages ou enquêtes confortent cette impression : la « fatigue » est le premier qualificatif employé par les Français pour caractériser leur état d’esprit actuel. Un nouveau syndrome est apparu : la fatigue pandémique engendrée par la peur de la maladie, l’absence de projet pour l’avenir et l’absence de visibilité sur la sortie de crise, qui se font sentir surtout auprès des jeunes, qui rencontrent de grandes difficultés à se projeter dans un tel environnement : « J’ai la sensation d’être au milieu d'un tunnel : d’où je viens, c’est noir, où l’on va, c’est noir », dit l’un ; un autre : « Je ne me projette plus, je vis au jour le jour, j’attends de voir ce qu’il se passe ».
Face à cette situation, le pire serait de consentir à la fatalité. De consentements en consentements, de renoncements en renoncements, on en vient à côtoyer d’insondables abîmes. C’est alors qu’il faut se re-mettre à l’écoute de René Char :
« Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité. Tu connaîtras d’étranges hauteurs ».
René Char, poète et résistant, nous a laissé dans ses Feuillets d’Hypnos, ensemble de fragments écrits entre 1943 et 1944, plus qu’un témoignage de résistant, des réflexions sur la manière radicale de faire face à des enjeux et des choix essentiels. L’idéologie, qui se cache toujours quelque part, est exclue des Feuillets d’Hypnos. Les choix sont des choix d’homme à homme, qui engagent en humanité, loin du leurre fondé sur les mots en -isme, totalement absents des Feuillets d'Hypnos. Ce qui se résume dans ce fragment :
« Tiens vis-vis des autres ce que tu t’es promis à toi seul. Là est ton contrat. »
À l'aube de cette année nouvelle, que nous souhaiter de mieux, Ami lecteur, que de tenir cette promesse, telle une lampe allumée qui éclaire nos vies.
Et méditer, avec René Char, devant cette reproduction du Prisonnier de Georges de la Tour :
" La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de la Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le coeur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n'ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l'emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d'ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l'homme assis. Sa maigreur d'ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L'écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore."
Espérer l'inespéré.
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