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Le laboureur et les mangeurs de vent

 

Le triste anniversaire de la rafle du Vél' d'Hiv' des 16 et 17 juillet 1942 est dans toutes nos têtes... Nous n'avons pas que les yeux pour pleurer, il nous faut absolument comprendre ce qui s'est passé pour éclairer le présent.

 

 

 

Un texte de circonstance, en même qu'une lecture stimulante et relativement aisée, le dernier livre de Boris Cyrulnik : Le laboureur et les mangeurs de vent.
 
Intarissablement Cyrulnik « raconte l’impossible » : la dramatique histoire de son passé d’enfant juif qui a échappé à la mort que lui promettait l’occupant nazi. Cette tragique expérience de vie est fondatrice pour lui, inlassablement il y revient. 80 ans plus tard la question le taraude toujours : comment est-il possible que par idéologie on veuille tuer un enfant parce que juif, cet enfant qu’il était  : «  À 7 ans, j’ai été condamné à mort pour un crime que j’ignorais. Ce n’était pas une fantaisie d’enfant qui joue à imaginer le monde, c’était une bien réelle condamnation ».  
 
Cyrulnik revient donc une nouvelle fois sur ces événements tragiques, mais très sobrement. Il cherche à comprendre pourquoi et comment une telle idéologie a pu se répandre et prospérer, faire tant d’adeptes adhérant aveuglément aux discours de soumission. « Il faut absolument que je comprenne ce qui s’est passé pour donner sens à ma vie. »
 
Point de départ d’une profonde et passionnante réflexion générale qui fait le sujet du livre : Pourquoi certains deviennent-ils des « mangeurs de vent », qui se conforment aux discours ambiants, aux pensées réflexes  ? Pourquoi d’autres parviennent-ils à s’en affranchir et à penser par eux-mêmes , malgré les drames de leur histoire et en dépit des tragédies de l’Histoire ?
 
En termes très simples (le livre n’a rien d’un traité académique, ce sont plutôt comme des suites de petits récits en trente trois courts chapitres), Cyrulnik rappelle d’entrée comment l’enfant depuis sa naissance, par étapes successives, élargit sa propre sphère personnelle, quittant le monde originel du corps de sa mère pour, accédant à la parole vers la troisième année, puis aux récits vers la sixième année, « habiter le monde des mots qu’il entend ».
 
C’est alors que se joue le devenir. Nous sommes tous déterminés par ce que notre entourage nous raconte. Mais serons-nous en capacité de conquérir notre autonomie ? Certains vont éprouver le besoin d’appartenir à un groupe, comme ils ont appartenu à leur mère, et vont intérioriser le récit collectif, sans critique : ce sont les mangeurs de vent, leurs connaissances sont coupées du réel. D’autres au contraire vont oser tenter l’aventure de l’autonomie : « Ceux qui préfèrent continuer l’exploration par eux-mêmes et non plus par ce qu’on leur a dit adoptent la stratégie du laboureur. Ils se cognent aux cailloux, reniflent l’odeur de la glaise et se donnent un plaisir de comprendre enraciné dans le réel. » 
 
Voilà la trame du livre de Cyrulnik : Qu’est-ce qui fait qu’on se lance dans l’aventure de l’autonomie ? À la base, c’est la confiance en soi qui est en jeu, acquise grâce à la sécurité qu’offre, ou non, le milieu familial. L’enjeu c’est, en poursuivant le cheminement vers l’autonomie sur la base de cette confiance en soi acquise ou refondée, d’apprendre à penser par nous-même. Penser par soi-même est un degré de liberté intérieure.
 
Sous cette trame court, pareil à une navette agile, le récit de Cyrulnik, qui entrecroise les fils des histoires de vie de personnages comme Alfred Adler, Viktor Frankl ou Hannah Arendt qui, confrontés à l’idéologie dominante, ont su penser par eux-mêmes et accéder à la liberté intérieure : « Ils avaient acquis au cours de leur développement une facilité à évoluer. Ils acceptaient l’idée de ne plus voir les choses comme avant ».  
 
Alors que d’autres, comme Rudolf Höss ou Josef Mengele, se sont soumis à la doxa ambiante. Ils ont éprouvé le plaisir des certitudes inébranlables, ont cherché des maîtres à penser « qui leur ont donné la foi, d’emblée, comme une révélation où il n’y a rien à vérifier, rien à confronter au réel. La conviction les a rendus tellement sûrs d’eux-mêmes qu’ils ont facilement grimpé les échelles de leur société, ils ont pris le pouvoir et ont imposé leurs valeurs ».
 
Cyrulnik dépasse sa propre histoire pour nous inviter à réfléchir à notre propre parcours et éclairer notre présent : « Nous pouvons choisir la manière dont nous pensons et celle dont nous agissons ».
 
Magnifique leçon de choses,  comme on disait jadis — j’adorais cette idée que nous avions à apprendre des choses — ici plus tragiquement, des choses de la vie...
 
 
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20/07/2022
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