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Le mythe du progrès (I)

 

 

« Le pas collectif du genre humain s’appelle le progrès. Le progrès marche », disait Victor Hugo.
 
Le mythe du progrès, tout le monde le partageait il y a peu de décennies. Je me souviens, dans les années soixante (j’avais entre 20 et 30 ans), c’était l’ère de l’avion supersonique Concorde, de la DS, de la première TV en couleurs, du transistor, des premiers computers, de la découverte des propriétés de l’ADN par Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff (tous trois Prix Nobel de médecine 1965), des premières transplantations cardiaques réalisées par Christiaan Barnard en 1967 en Afrique du Sud, du premier pas d’un homme sur la lune en 1969 etc. La croyance au progrès était générale, et partagée la conviction que l’accroissement des connaissances devait naturellement contribuer aux progrès moraux de l’humanité.
 
Certes, dans les mêmes années, les hippies d’abord, puis les mouvements de mai 68 vinrent ébranler, pour un temps, ces idées établies. Mais ces mêmes années virent se développer, sans mauvaise conscience aucune, l’agriculture intensive, la privatisation des semences, le recours massif aux engrais (nitrates, phosphates...) et aux pesticides etc.
Savions-nous que cela signifiait le début de la destruction de la biodiversité ? La mise en péril des conditions de vie sur Terre ? La croyance était au progrès.        .      
 
Retour en arrière, à la fin du XVIIIᵉsiècle.
 
 
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J’ai une pensée particulière quand je passe, aux abords de Saint-Sulpice, devant le 15 de la rue Servandoni (l’architecte italien de la façade de Saint-Sulpice), anciennement rue des Fossoyeurs : c’est ici que s’est terré en 1793-1794 Condorcet, mathématicien, philosophe, homme politique, le dernier des représentants des Lumières, proscrit par la Convention nationale ; ici aussi qu’il a écrit, oppressé par le temps, sans notes, porté par sa foi indéfectible en l’homme, l'Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain.
 
[Condorcet dont les idées inspirèrent la pionnière du féminisme, Olympe de Gouges, rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, morte guillotinée le 3 novembre 1793, qui habitait à deux pas de Condorcet dans une rue parallèle, rue Férou. Ainsi, par exemple, de ces idées développées dans l'Esquisse :
"Parmi les progrès de l'esprit humain les plus importants pour le bonheur général, nous devons compter l'entière destruction des préjugés, qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu'elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur organisation physique, par celle qu'on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n'a eu d'autre origine que l'abus de la force, et c'est vainement qu'on a essayé depuis de l'excuser par des sophismes"]
 
Après s’être caché pendant neuf mois, avec la complicité de sa logeuse, rue des Fossoyeurs, Condorcet tente de fuir Paris le 25 mars 1794. Mais il est rapidement arrêté. On le place dans une cellule où on le retrouve mort le surlendemain [suicide ? accident cardiaque ? les circonstances de sa mort n’ont jamais été élucidées].
 
Écrit à l’ombre de la mort, l'Esquisse est un véritable hymne à la vie parcourant la voie vers le progrès illimité. Pour Condorcet, le progrès n’est pas cantonné à la connaissance. Il implique aussi un perfectionnement moral de l’homme. La voie vers le progrès ne connaît "d’autre fin dans le temps que la durée du globe où la nature nous a jetés"  [Esquisse]. Condorcet ne doutait pas un instant que "toute découverte dans les sciences est un bienfait pour l’humanité"  [Discours de réception à l’Académie française]. Cette foi dans le progrès illimité a profondément et durablement imprégné le XIXᵉ et le XXᵉ siècle. Mais aujourd’hui ?
 
Aujourd’hui, on est entrés dans l’ère d’un basculement. L’humanité bascule. On se rend compte que certains des « progrès » de l’ère précédente, loin de nous apporter le bonheur promis, nous jettent dans le malheur. À quoi assistons-nous, impuissants ? À la destruction, commencée, des conditions d’habitabilité de notre espèce, et d'autres espèces, sur Terre. À la possibilité que l'être humain en tant qu'espèce disparaisse. Caractère irrévocable du passé. Ce qui a été fait a été fait.
 
Je lis pensivement ces lignes de Mohamed Mbougar Sarr, in La plus secrète mémoire des hommes (Prix Goncourt 2021) :
 
« Dans la question du qu’ai-je fait ? sonne aussi le glas du c’est fait pour l’éternité. C’est la question de l’honnête homme qui commet un crime dans un accès de fureur, et qui, après l’acte, redevenu lucide, se tient la tête : qu’ai-je fait ? Cet homme sait ce qu’il a fait. Mais son angoisse, son horreur viennent surtout de ce qu’il sait aussi qu’il ne peut défaire, réparer ce qu’il a fait. C’est parce qu’il lui donne la conscience tragique de l’indéfectible, de l’irréparable, que le passé est ce qui inquiète le plus l’homme. La peur de demain porte toujours, même infime, même quand on sait qu’il peut être déçu et le sera probablement, l’espoir des possibles, du faisable, de l’ouvert, du miracle. Celle du passé ne porte rien que le poids de sa propre inquiétude. Et même le remords ou les repentirs ne suffisent pas à modifier le caractère irrévocable du passé ; bien au contraire : ils le confirment même dans son éternité. On ne regrette pas seulement ce qui a été ; on regrette aussi et surtout ce qui sera à jamais. »
 
Peut-on croire encore au mythe du progrès ? Ce qu’il nous revient de faire : adopter une attitude critique envers notre propre puissance et notre propre action...
 
 
À suivre

 



04/02/2023
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