Le peuple des humains
"Le peuple des humains" : belle expression qui titre un passionnant essai de Lluis Quintana-Murci, biologiste franco-espagnol de renommée mondiale, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de Génomique humaine et évolution, dans lequel il fait le point sur le tout dernier état des recherches en génétique et en génomique humaines. Ces recherches révolutionnent ce que nous savons de nos origines en tant qu'HOMO SAPIENS. Elles montrent également que le racisme, basé sur l'idée de race, n'a aucun fondement scientifique. L'évolution revisitée à la lumière des dernières découvertes scientifiques...
I. De Darwin à la génomique
Charles Darwin, comme chacun sait, a été, au milieu du XIXᵉ siècle, le promoteur de la théorie de l'évolution. Cette théorie a mis du temps a être acceptée dans les esprits. Aujourd’hui encore certains, dans des milieux restreints [les partisans du créationnisme, par exemple], continuent de résister, pour des raisons idéologiques. Mais les développements scientifiques au XXᵉ siècle, l’essor en particulier de la génétique des populations, la découverte des bases du patrimoine héréditaire, l’ADN, enfin le séquençage de l’ADN, ont permis d'étayer le bien-fondé de la pensée évolutionniste. Non seulement les hypothèses de Darwin sur l’ancêtre commun partagé entre l’homme et les singes ont été confirmées, mais la génétique et la génomique, ont permis d’approfondir de façon radicale la connaissance de nos origines dans la ligne de l'évolution.
Ces avancées scientifiques depuis le milieu du XXᵉ siècle et jusque tout récemment, ont été jalonnées de faits marquants :
∗ 1953 : la découverte de la structure en double hélice de l’ADN change le devenir de la génétique des populations. Il apparaît que certains des changements évolutifs sont dus à la dérive génétique.
∗ 1977 : les premières méthodes de séquençage de l’ADN permettent de décrypter l’information contenue dans l’ADN.
∗ 1984 : découverte, basée sur l’ADN, que l’homme et le chimpanzé partagent un ancêtre commun.
∗ 1987 : première preuve génétique soutenant l’origine africaine de notre espèce.
∗ 1997 : première séquence d’un segment d’ADN fossile provenant de l’homme de Néandertal.
∗ 2001 : publication de la séquence du génome humain.
∗ 2010 : découverte d’une nouvelle espèce humaine, l’homme de Denisova, sur la seule base du séquençage de son ADN (à partir d’un petit vestige de phalange).
∗ 2010 : premières études de la diversité génétique humaine.
Toutes ces avancées, notamment celles relevant de la génomique (possibilité de séquencer l’ADN ancien provenant des fossiles, et possibilité de séquencer les génomes des populations actuelles), ont fourni des données précieuses permettant une plongée extraordinairement précise dans notre passé. Quelle image nous en livrent-elles ?
II. Le genre Homo
Tout d’abord, concernant le genre Homo, il apparaît qu’il était composé de plusieurs espèces, dont la nôtre, Homo sapiens, seule espèce survivante à l’époque actuelle. Avant l’émergence des premiers Homo sapiens, on trouve d’autres espèces d’Homo, aujourd’hui éteintes, réparties sur différentes périodes et ayant vécu dans différentes régions du monde, notamment les néandertaliens (Homo neanderthalensis) qui habitaient l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale à une période comprise entre 230 000 ans et 40 000 ans environ, et les dénisoviens (Homo denisovensis), occupant l’Eurasie jusqu’à il y a environ 40 000 ans.
L’étude récente de l’ADN de ces formes humaines aujourd’hui disparues montre que les Eurasiens d’aujourd’hui portent dans leurs génomes, en moyenne, environ 2 à 3 % de matériel génétique provenant des néandertaliens — au grand dépit de certains qui, pour des raisons idéologiques, voudraient croire qu'Homo sapiens et les néandertaliens étaient bien différents, ne partageaient rien, et surtout ne s’étaient pas métissés ! Mais non. Il y a 2% de Néandertal en nous ! Nous en portons la preuve dans nos génomes.
La puissance de la génomique a permis aussi, en séquençant l’ADN de l’homme dit de Denisova, de prouver que les dénisoviens ont eux aussi laissé des traces dans nos génomes : moins de 1% du matériel génétique chez les Eurasiens, à l’exception des populations du Sud-Est asiatique pour lesquelles le pourcentage d’héritage dénisovien atteint les 3,5%. Il demeure donc en nous une part d’humanité archaïque, héritée notamment des néandertaliens ou des dénisoviens…
III. L’espèce Homo sapiens
Focalisons-nous maintenant sur notre espèce, seule survivante du genre Homo. Qu’apportent de nouveau la génétique et la génomique dans la connaissance de nos origines ?
Dans les années 80, les paléoanthropologues, en se fondant sur les restes fossiles, proposaient différents modèles pour expliquer les origines d'Homo sapiens. Pour les uns, les défenseurs du monogénisme, tous les groupes humains partageaient un ancêtre commun. Pour d’autres, les tenants des modèles polygénistes, les différentes populations humaines occupant la planète aujourd’hui — les « races » humaines, comme on disait à l’époque — avaient des origines bien distinctes et ne partageaient en aucun cas un ancêtre commun. Selon le modèle dit modèle en candélabre, les populations africaines, européennes, asiatiques et océaniennes d’aujourd’hui, seraient le résultat d’une évolution indépendante et séparée sur chacun des continents (les plus avancés étant les Européens, les derniers — les plus proches de l’état « primitif » du genre Homo —les Africains...).
Les analyses génétiques dans la dernière décennie, aussi bien des populations actuelles que de l’ADN ancien, permettent de trancher : toutes les populations humaines partagent une origine commune en Afrique : Sapiens est né en Afrique il y a environ 200 000 ans et y a demeuré pendant au moins 100 000 ans, avant qu’il commence à gagner l’Asie du Sud-Est, l’Australie, l’Europe et l’Asie de l’Est pour s’y installer véritablement il y a environ 40 000 à 80 000 ans…
Je n’entre pas dans le détail des passionnants exposés que Quintana-Murci consacre à toutes ces migrations et métissages, dont on retrouve la trace grâce aux analyses ADN. Je retiens qu’au terme de cette épopée nous pouvons affirmer que nous avons une origine unique, africaine, et sommes tous le fruit de multiples métissages, y compris, pour une faible part, avec des formes humaines aujourd’hui disparues, comme l’homme de Néandertal ou son cousin asiatique l’homme de Denisova.
Les données génétiques réfutent ainsi toute base scientifique du racisme : Il n’existe pas de groupes humains bien distincts et complètement séparés. Nous sommes le produit de plus de 200 000 ans d’histoire comme espèce, ayant son origine unique en Afrique, avec à la fin environ 100 000 ans de voyages et de rencontres multiples, qui font de nous tous des métis !
Et c'est grâce à ces métissages, en particulier avec les humains archaïques qui nous ont apporté des variants génétiques bénéfiques, que nous sommes mieux armés pour résister aux agents infectieux, tels ceux du nouveau coronavirus (SARS-CoV-2)...
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