Molière
Promenades littéraires dans mon quartier...
A quelques pas de chez moi... rue Mazarine au numéro 12 :
J'aime imaginer l'état d'esprit du jeune Molière fondant en décembre 1643 son Illustre-Théâtre.
Poquelin de son nom de famille (ce n'est que le 28 juin 1644 qu'il signe Molière au bas d'un acte officiel), il n'a pas encore 21 ans. Fils d'un bourgeois parisien possédant la charge de tapissier du roi, il fait des études de droit pour devenir avocat. Mais il renonce à exercer ce métier qui lui permettrait de postuler à une charge administrative et, peut-être après sa rencontre, au cours d'un voyage, avec Madeleine Béjart, alors comédienne de la troupe de Charles Dufresne, il décide, contre l'avis de son père, de devenir comédien.
Le 30 juin 1643 il signe sous le nom de Jean-Baptiste Poquelin le contrat d'association de l'Illustre Théâtre avec 9 autres sociétaires, dont Magdaleine Bejart ainsi que Joseph Bejart et Geneviefve Bejart, lesquelz ont faict et accordé volontairement entre eulx les articles qui ensuivent soubz lesquelz s'unissent et se lient ensemble pour l'exercice de la comedie affin de conservation de leur trouppe soubz le tiltre de l'Illustre Theatre [...].
Il loue dans la foulée cette salle du Jeu de Paume dite des Métayers, rue des Fossés-de-Nesle (rue Mazarine), et ouvre en décembre 1643 l'Illustre Théâtre, sous le signe de la rupture (avec son père) et de l'enthousiasme de sa jeunesse, appuyé sur l'expérience de Madeleine Béjart (la seule comédienne à l'origine de la troupe).
Il est beau de voir un commencement. Quand bien même le succès n'est pas là d'emblée (l'Illustre Théâtre devra fermer en mai 1645 pour cause de dettes et son fondateur tâter brièvement de la prison au Chatelet en août de la même année), Molière avait ouvert une voie qui se révéla dans les années qui suivirent si féconde que ses comédies aujourd'hui encore font flèche.
Il n'y a pas si longtemps j'ai revu L'Avare, avec un Michel Bouquet formidable dans le rôle d'Harpagon. Qu'est-ce qui nous a été donné à voir ? Pas une pièce centrée sur le personnage psychologique de l'avare, comme nos lectures d'antan nous y portaient, mais centrée sur la présence, la prégnance universelle de l'argent.
"L'argent est le personnage principal de L'Avare", disait Michel Bouquet. Tous les personnages de la pièce, pas seulement Harpagon, sont torturés par l'argent. On sort du portrait psychologique, qui a sa valeur, mais limitée, pour atteindre la dimension mythique, universelle, qui nous rejoint de vrai aujourd'hui.
L'Avare est aussi une pièce sur le conflit des générations. Harpagon est vieux, Harpagon est riche. Il est entouré d'une jeunesse agressive, qui réclame son dû. N'est-il pas temps que le vieux maître passe la main ? Son pouvoir tyrannique est de plus en plus insupportable. Place aux nouvelles générations.
Molière est un provocateur. L'Avare est-il bien une farce ? Ou une tragédie, combien lucide sur les ressorts de notre société ?
Voilà le genre qu'invente Molière en ouvrant l'Illustre Théâtre en ce Jeu de Paume des Métayers.
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