Nicolas Flamel
Promenades littéraires dans mon quartier...
Face à la tour Saint-Jacques, ancien clocher de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, construite en 1060 et démolie en 1797, dans le quatrième arrondissement de Paris, se trouve une petite rue qui porte le nom de Nicolas Flamel. Une autre petite rue, qui coupe la première perpendiculairement, porte le nom de Pernelle, avec cette inscription sur la plaque : "épouse de l'écrivain-libraire parisien Nicolas Flamel".
Un peu plus loin, dans le troisième arrondissement, au 51 rue de Montmorency, se trouve une Auberge Nicolas Flamel, installée dans la plus ancienne maison de Paris, que Flamel fit construire en 1407 pour accueillir les pauvres.
Outre diverses figures, dont des anges musiciens, gravées dans les pierres avec un N et un F gothiques de chaque côté, la maison porte sur son fronton cette inscription : « Nous homes et femes laboureurs demourans ou porche de ceste maison qui fut faite en l'an de grâce mil quatre cens et sept somes tenus chascun en droit soy dire tous les jours une paternostre et un ave maria en priant Dieu que sa grâce face pardon aus povres pescheurs trespasses Amen. »
La maison de Nicolas Flamel
rue Montmorency
Nicolas Flamel et son épouse dame Pernelle sont donc des personnages assez connus - lui pour son activité d'écrivain-libraire, elle et lui pour leur générosité envers les pauvres - pour avoir laissé des traces à Paris. Mais il y a plus... Nicolas Flamel aurait exercé une autre activité - dont la mairie de Paris ne souffle mot : alchimiste.
L'alchimie - c'est une constante - a toujours été entourée de secret. Mais la tradition a prêté à Nicolas Flumel plusieurs traités alchimiques, dont le plus célèbre est Le Livre des figures hiéroglyphiques [titre complet : « Les figures hierogliphiques de Nicolas Flamel, ainsi qu'il les a mises en la quatrième arche qu'il a battie au Cimetiere des Innocens à Paris, entrant par la grande porte de la rue S. Denys,& prenant la main droite ; avec l'explication d'icelles par iceluy Flamel »].
La vie même de Flamel reste entourée de mystère, et il y a sans doute une part de mythe dans ce qu'on raconte de la quête de Nicolas Flumel : n'empêche, le mythe est souvent plus "parlant" que le récit brut des faits.
Ce qui est rapporté : Nicolas Flamel, qui était donc écrivain public, "maître à écrire" comme on disait alors, tenait boutique dans une échoppe adossée à l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Poète aussi, curieux des sciences "chymiques", il a une nuit un songe : un livre assez remarquable lui apparaît, couvert de cuivre bien ouvragé, et il perçoit une voix qui lui dit : "Flamel, vois ce livre auquel tu ne comprends rien : pour bien d'autres que toi, il resterait inintelligible ; mais tu y verras un jour ce que tout autre n'y pourrait voir...". À ces mots, Nicolas tend les mains pour prendre le livre... mais il se réveille, et reste travaillé par ce songe.
Quelque temps plus tard, Flamel tombe chez un bouquiniste sur un livre, qu'il reconnaît aussitôt : c'est celui de son songe. Flamel lui-même nous rapporte l'avoir acheté pour deux florins, en 1357. Sa couverture était ornée d'hiéroglyphes, l'ensemble du texte groupé en sept feuillets, séparés par d'autres feuillets ornés de dessins, traitait de la transmutation métallique, mais la secrète teneur du livre ne pouvait être saisie sans accès au langage ésotérique.
point de départ parisien du Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle
C'est alors que Flamel entreprend de se mettre sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, dont la tour Saint-Jacques était le point de départ parisien... Les pérégrins servaient de trait d'union à de nombreux échanges culturels entre la France et l'Espagne. Flamel espère, au cours de sa traversée de l'Espagne, rencontrer quelque vieux rabbin capable d'apporter ses lumières pour déchiffrer son livre. Cousant dans ses vêtements une partie des feuillets qu'il a recopiés, Flamel prend le Chemin.
La rencontre espérée a lieu, dans une auberge de León. Un marchand de Bologne le met en relation avec un "maître", un médecin juif du nom de Canches, réputé avoir des connaissances extraordinaires dans les domaines de l'hermétisme et de la Kabbale. Un arrangement est pris : Canches, qui avait fui la France chassé par les persécutions, décide d'y retourner clandestinement, pour y lire le livre complet. Malheureusement Canches meurt à Orléans. Éclairé par l'enseignement qu'il a reçu du maître tout au long du retour, Nicolas Flamel va poursuivre sa quête...
Les alchimistes ont souvent eu une réputation sulfureuse. C'est qu'on les confond avec des "faiseurs d'or". Je me hasarde à supposer que cette réputation n'a pas été sans nuire à Flamel, qui disposait de biens.
Cependant je vois dans la quête du véritable alchimiste quelque chose de bien plus fascinant. L'alchimie était au Moyen Âge une expérience scientifique liée à une expérience spirituelle.
Pas d'alchimiste sans laboratoire - c'est-à-dire des officines dans lesquelles se trouvait un large fourneau couvert de vases, d'alambics, de cornues et de toutes sortes d'instruments comme l'athanator [où le charbon, grâce à un dispositif spécial, brûlait lentement], l'aludel [un appareil sublimatoire] ou le matras [dans lequel on chauffait, selon certaines règles très précises, la matière de la pierre philosophale]...
Mais pas d'alchimiste non plus sans oratoire - à travers la transmutation de la matière, l'alchimiste poursuit la recherche d'une "réalisation spirituelle". Les symbolismes et les opérations alchimistes étaient liés, sur le plan spirituel, à un processus incessant de transformation : celui de la Matière.
J'aime à penser au cheminement secret de l'alchimiste, accomplissant simultanément l'ascèse intérieure et le travail de laboratoire, espérant obtenir tout à la fois la transmutation de la matière et sa propre illumination, dans la ferveur de sa recherche - cette ferveur par laquelle elle s'apparente à la Quête du Graal...
Ce serait une erreur d'attribuer aux anciens alchimistes des préoccupations d'ordre uniquement matériel, pour la seule raison qu'ils n'ont pas jugé à propos d'écrire en toutes lettres que leur science était en réalité de nature spirituelle.
[René Guénon]
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