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Phillis Wheatley, écrits d'une esclave africaine américaine (I)

 
Je remercie tous mes amis qui nous ont apporté leur soutien, sur le blog ou par message, à mon épouse et moi-même, suite à notre double et simultanée hospitalisation, dans des établissements différents! de la capitale. Mon épouse poursuit sa rééducation dans un centre spécialisé ; quant à moi-même, bonne nouvelle, je suis sorti des Quinze-Vingts, et ai pu même, pour la première fois, rendre visite à mon épouse. Merci pour vos voeux de rétablissement, fort bien formulés 'bon pied, bon oeil !' : pas juste un mot, le mot juste ! 

 

 

 

 

 

Phillis Wheatley

Écrits d'une esclave africaine américaine (I)

 

 

 

 

 

 
C'est avec une certaine émotion − peut-être parce que cette histoire est au départ celle d'une enfant −, que je souhaite évoquer la figure historique de Phillis Wheatley, son destin, son déracinement, sa résilience, sa création, son apport singulier à la reconnaissance de l'humanité du peuple noir, dans un siècle qui la niait.
 
Mais qui est Phillis Wheatley ? me direz-vous − tant sa figure, si elle est quasi unanimement célébrée dans le monde anglo-saxon, nous est étrangère. Ce nom, Phillis Wheatley, personnellement je ne le connaissais pas, jusqu'à ce qu'une amie américaine, que je salue ici, Nancy G., l'évoque un jour devant moi il y a un certain temps, je ne sais plus à quelle occasion − et voilà que ma curiosité a été mise en éveil.
 
L'histoire commence affreusement banalement : c'est celle d'une enfant africaine de 7 ans ; sans nom ; capturée sur sa terre natale ; arrachée à ses parents ; embarquée de force sur un navire négrier qui fait la traversée atlantique,The Phillis ; achetée comme esclave lors d'une vente aux enchères à Boston, en 1761, par John Wheatley, négociant prospère, pour le service de sa femme Susanna...
 
La fillette doit son prénom Phillis au nom du navire négrier sur lequel elle a été déportée, et doit son nom Wheatley à celui de ses propriétaires, comme cela était la coutume.
 
Un de ses poèmes, qu'elle écrira plus tard, se fait l'écho de ces heures déchirantes :
 
"Hélas ! au printemps de ma vie un destin cruel m’arracha des lieux fortunés qui m’avoient vu naître. Quelles douleurs, quelles angoisses auront torturé les auteurs de mes jours ! Il étoit inaccessible à la pitié, il avoit une âme de fer le barbare qui ravit à un père son enfant chéri. Victime d’une telle férocité, pourrois-je ne pas supplier le ciel de soustraire tous les êtres aux caprices des tyrans..."
 
[Traduction Henri Grégoire, dit l'Abbé Grégoire, curé rouge, évêque constitutionnel et homme politique français, une des principales figures de la Révolution française, dans son ouvrage De la littérature des nègres ou recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature, 1808]
 
Comment se représenter l'arrivée, le marchandage, l'effroi de la petite fille esseulée face au déracinement, arrachée aux siens, achetée par un étranger dont elle ignore la langue, soumise aux règles brutales de l'asservissement... Comment ne pas sombrer ? Comment ne pas perdre sa force d'âme ?
 
Mais voilà le miracle, la vie ne meurt pas, mais resurgit plus forte que jamais ! Au service de ses maîtres, la petite Phillis manifeste une intelligence vive. Le père, John, homme éclairé, très impressionné, demande à sa fille Mary et à son fils Nathaniel, des jumeaux de 18 ans, d'apprendre à lire et à écrire à Phillis − ce qui n'était pas d'usage pour les esclaves, l'accès à l'éducation ne leur étant pas ouvert.
 
Phillis apprit à lire et à écrire, et rapidement se révéla apte à étudier le latin, la Bible (les Wheatley étaient très religieux) et la littérature anglaise. John Wheatley apporte ce témoignage :
 
"Sans aucune aide du système éducatif, et avec le seul enseignement prodigué par la famille, dans les seize mois qui ont suivi son arrivée, elle acquit une telle maîtrise de la langue anglaise qu'elle lisait les passages les plus difficiles des Saintes Écritures au grand étonnement de ceux qui la côtoyaient."
 
Dès l'âge de 12 ans, elle écrivit des poèmes, de facture classique, souvent inspirés par des scènes bibliques ou mythologiques, qui témoignent d'une remarquable maîtrise de la littérature. Â 18 ans, toujours au service de Susanna, qui l'encourage dans la voie de la création, Phillis a écrit assez de poèmes pour que les Wheatley envisagent de les faire publier.
 
Mais nous sommes à Boston, dans les années 1770. La ville compte 15 000 habitants et environ 2% d'esclaves noirs. Boston est un point d'arrivée des navires négriers qui font la traversée atlantique ; le commerce d'esclaves enrichit la vie locale ; l'esclavage est une institution reconnue. La présence des esclaves est donc actée, mais à la condition qu'ils restent à la place qui leur a été dévolue, compte tenu de leur sous-humanité. Le phénomène Phillis, dès lors, dérange.
 
Les Wheatley appartiennent à la classe aisée des négociants prospères ; ils sont introduits dans la haute société bostonienne et fréquentent des personnalités de passage, dont des ministres du culte, qui, apparemment, encouragèrent le développement intellectuel, religieux et littéraire de Phillis − mais cette audience ne suffit pas à permettre la publication d'un recueil de poèmes de la protégée des Wheatley.
 
Des résistances, il y en avait : peu de Bostoniens croyaient qu'une esclave eut assez d'intelligence et de raison pour écrire des poèmes. On soupçonna les Wheatley de tricher. Reconnaître qu' "une jeune fille nègre, qui fut déportée, il y a seulement quelques années alors qu'elle était une barbare ignorante d'Afrique, et qui est depuis lors dans la situation inférieure d'esclave dans une famille de la ville" put écrire des poèmes, contredisait toutes les théories en vigueur sur l'infériorité des noirs.
 
L'histoire de Phillis aurait pu s'arrêter là. Mais non...
 
 
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16/05/2024
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