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Phillis Wheatley, écrits d'une esclave africaine américaine (III)

 

 

 

Avec ce dernier billet,  je donne à tous nos amis qui s’en enquièrent et manifestent leur soutien bienveillant − qu’ils soient remerciés ici − nos dernières nouvelles de santé. Mon épouse poursuit, avec la tonicité qu’on lui connaît, sa rééducation à Port Royal, probablement jusque fin juin, ensuite à Grenoble, puis à la montagne ; quant à moi-même, j’ai quasi retrouvé la vue normale, en tout cas je n’éprouve plus de gêne sensible pour lire, travailler sur ordinateur ou m’aventurer à l’extérieur parmi les foules touristiques de mon quartier rue de Seine/rue de Buci − non sans me munir de mes deux bâtons de marche pour assurer mes pas et tracer mon chemin.

 

(Suite et fin)

 

 

 

… Peu après le retour de Londres de Phillis fin 1773, Susanna, sa maîtresse (et protectrice!) mourut. Dans les mois qui suivirent, suite aux demandes pressantes d’ “amis en Angleterre”, John Wheatley émancipa Phillis, en 1774 ; elle n’est plus esclave, la voici libre ! et face à de nouvelles perspectives.

 

Dans les premiers temps elle demeure chez les Wheatley et, très vite, manifeste son esprit entreprenant, prenant en charge sa destinée littéraire et ses intérêts financiers, droits d’auteur etc.. Mais le ciel s’assombrit. 

 

En 1770, avait eu lieu à Boston une journée sanglante, passée dans l’histoire sous le nom de Massacre de Boston, considéré comme le premier événement de la Guerre d’indépendance des États-Unis ; Phillis en avait été profondément troublée et avait écrit un poème, dont on ne connaît que le titre On the Affray in King Street. L’insurrection a gagné le pays ; en 1775-76, Boston est occupé par les troupes britanniques ; de nombreuses exactions ont lieu ; la famille Wheatley se disperse, leur maison sera détruite. John meurt en 1778, sa fille Mary peu après ; Nathaniel est établi à Londres ; Phillis se retrouve seule, démunie ; le port de Boston est bloqué ; elle ne peut faire venir ses livres de Londres.

 

C’est dans ces temps troublés que Phillis épouse John Peters, un Noir affranchi, marchand de son état ; le couple vit bien ; mais Peters subit des revers de fortune ; Phillis, qui n’a plus d’activité littéraire, n’aurait pas été heureuse en ménage ; nous ne savons pour ainsi dire rien de Phillis épouse et mère (elle aurait eu 3 enfants, qui meurent en bas âge), hormis ce témoignage d’une connaissance du couple, que cite Henri Grégoire − l’Abbé Grégoire − dans son ouvrage De la littérature des nègres (1808) dans sa notice sur la vie de Phillis Wheatley :

 

“La sensible Phillis, qui avoit été élevée suivant l’expression triviale en enfant, n’entendait rien â gouverner un ménage, et son mari vouloit qu’elle s’en occupât ; il commença par des reproches auxquels succédèrent de mauvais traitements dont la continuité affligea tellement son épouse, qu’elle périt de chagrin...”

 

Phillis meurt le 5 décembre 1784, à l’âge de 31 ans, dans la pauvreté.

 

 

La vie de Phillis n’a pas été flamboyante, mais quelle résilience, quel courage pour exister malgré toutes les adversités, son rapt, le déracinement, la re-construction de soi, l’affirmation, face aux contestations de la société des Blancs, de son humanité noire, à travers son acte d’écriture.

 

Les écrits de Phillis ne se réduisent pas aux poèmes de jeunesse rassemblés dans le seul recueil publié, Poèmes sur différents sujets, religieux et moraux − poèmes au demeurant d’inspiration et de facture assez classiques ; Phillis a produit aussi des poèmes que nous dirions aujourd’hui “engagés”, la plupart dédiés à des personnalités pour célébrer leurs actions fortes − ainsi par exemple un poème à George Washington après sa nomination comme commandant en chef des indépendantistes − bien d’autres encore, Phillis prenant toujours parti pour les manifestations de résistance armée contre l’oppression britannique.

 

Ces poèmes ne valent pas pour leur forme spécifique, mais en tant qu’écrits par une femme noire, contredisant de fait les idéologies et discours sur la race ne reconnaissant pas au peuple noir la qualité d’humain.

 

La renommée de Phillis Wheatley se répandit en Amérique et en Europe, attirant l’attention de Voltaire qui y vit une preuve de la capacité des noirs à écrire de la poésie. Les écrits de Phillis Wheatley furent en outre souvent cités dans les années de fin 18ᵉ − début 19ᵉ siècle, dans le combat pour l’abolition de l’esclavage.

 

Reste cependant que l’hommage rendu à Phillis Wheatley n’est pas, de nos jours, tout à fait unanime. Il est certains écrivains ou artistes qui contestent son authenticité de femme noire, du fait que dans ses poèmes elle n’exprime pas de conscience de classe, elle représenterait au contraire le type même de l'opprimé qui assimile et intègre le langage de l’oppresseur…

 

Je pense, pour ma part, que c’est là prêter à Phillis une pré-science de problèmes et combats qui sont ceux de nos jours − ce n’étaient pas les siens, occupée qu’elle était de vivre, c’est-à-dire survivre, et non philosopher. J’ajoute qu’il est dérisoire de relire l’histoire en projetant dans le passé, si naïvement (je veux dire sans aucun esprit critique), les idéologies du présent.

 

Phillis Wheatley, donc, mérite notre reconnaissance sans réserve, pour avoir, dans son effort pour exister, magnifiquement affirmé à travers l'acte d'écriture sa qualité de femme noire − et ce faisant nous avoir fait progresser en humanité.

 



27/05/2024
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