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Quelques impressions de Pologne (II) Cracovie

 

 

Qui ne craquerait pour Cracovie ? Sa beauté, son harmonie, composée de styles gothique, Renaissance, baroque, qui se sont suivis, parfois surajoutés l’un à l’autre, dans un équilibre toujours parfait, subjuguent. La vieille ville, toujours debout (à la différence de celle de Gdańsk rasée pendant la guerre, elle a été miraculeusement préservée), enclose dans l’ancienne ligne de ses remparts détruits en 1806 sur ordre des Autrichiens, auxquels a été substituée une ceinture verte magnifiquement arborée, n’a-t-elle d’ailleurs pas la forme d’un coeur ? À Cracovie bat le coeur de la Pologne historique ! On n’en finit pas de déambuler dans les vieilles rues emplies de maisons médiévales, débordantes d’églises (combien y en a-t-il ?) gothiques ou baroques, toutes plus belles, plus harmonieuses les unes que les autres, magnifiquement entretenues. On n’en finit pas de flâner sur le Rynek Glówny (place du Marché) qui est le coeur du coeur, une place à la fois immense (cette place carrée de 200 m de côté est l’une des plus grandes que le Moyen Age ait léguées à l’Europe) et familière, animée, pleine de vie, qui offre de multiples spectacles toujours renouvelés, bordée par la magnifique Kosćiól Mariacki (basilique Notre-Dame-Sainte-Marie) légèrement en biais, qui domine de ses deux tours, la plus haute se distinguant par un chapiteau de 16 petits clochetons et servait de tour de guet… Une seule fois Cracovie fut saccagée, en 1241, par les Tatars. Jamais depuis lors.    
 
 
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La basilique Notre-Dame-Sainte-Marie
 
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Sur le Rynek Glówny
 
 
Mais Cracovie conserve la trace des pires atrocités commises lors de la dernière guerre. Pas de bombardements, pas de destructions de bâtiments — la vieille ville a été épargnée — mais la destruction totale, l’élimination physique, du fait de volonté nazie, de la communauté juive, qui vivait là depuis des siècles.
 
La communauté juive n’a jamais été totalement intégrée, comme souvent ailleurs, dans la société cracovienne. Déjà présente au Moyen Âge, elle avait été progressivement expropriée de 1400 à 1495 du quartier qu’elle occupait à l’ouest de la ville pour faire place à l’université nouvellement créée (une des plus anciennes et renommée de l’Europe), et déplacée au sud dans la ville attenante, à l’origine indépendante, de Kazimierz, rattachée à Cracovie au début du XIXᵉ siècle. À Kazimierz, vivaient dans les débuts côte à côte deux communautés, une chrétienne et une juive — mais progressivement la communauté juive occupa le quartier entier, se distinguant nettement par leur langue — le yiddish — et leurs moeurs du reste de la population de Cracovie, jouissant d’une structure d’autogestion religieuse et culturelle qui réglementait l’essentiel de leur existence —la Kehilla (Conseil). 
 
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive de Kazimierz comptait environ 70 000 personnes, soit environ le quart de la population de Cracovie. Majoritairement pauvres, les Juifs exerçaient de petits métiers (commerce, artisanat…). Le 1er septembre 1939, les nazis allemands attaquèrent la Pologne et la Seconde Guerre mondiale éclata. Le 6 septembre, les régiments allemands entraient dans Cracovie, qui tomba sous l’autorité du Generalgouvernement à la botte de Berlin. L’occupation devait durer plus de cinq ans.
 
 
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Des soldats allemands dans les rues de Cracovie, 1939-1941
(photo d'archives)
 
L’occupation allemande signifia la terreur pour tous : emprisonnements, interrogatoires avec torture, envoi en camp d’internement… la politique de terreur instaurée par les nazis visait à la soumission totale des Polonais (considérés comme des Untermenschen — des sous-hommes, tout au plus une main-d’oeuvre servile) et à l’élimination de ses classes dirigeantes (comme feront plus tard dans les années 75 les Khmers rouges à Phnom Penh). Quant aux Juifs, ils subirent une première déportation en 1940, le Gouverneur Général allemand Hans Frank ayant décrété que Cracovie devait devenir une ville « libérée des Juifs » — ce qui n’était pas pour déplaire à la majorité de la société polonaise, marquée par la pensée des nationalistes, dominante.
 
Les Juifs, bien que n'étant pas une nationalité à part (c'étaient des Juifs polonais), n'étaient pas comptés comme des Polonais, mais comme une minorité étrangère, au même titre que les Ukrainiens ou les Biélorusses — qui plus est, comme une minorité dangereuse pour l'intégrité polonaise, un État dans l'État : leur destruction "réglait" le problème.
 
 L’attitude des Polonais à l’égard des Juifs fut-elle ainsi en général inflexible, souvent sans pitié (néanmoins le groupe polonais des Justes qui, au péril de leur vie, ont sauvé des vies juives, compte 6 000 noms, et on a évalué à quelque 700 personnes le nombre de Polonais ayant perdu la vie pour avoir tenté de sauver des Juifs). En mars 1941, tous les Juifs de Kazimierz furent expropriés et déportés vers Podgórze, sur la rive droite de la Vistule, un « quartier juif d’habitation » : en fait un ghetto sévèrement gardé par les Allemands dans lequel durent s’installer de force environ dix-sept mille personnes.
 
 
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Déportation de Juifs vers le ghetto - pont Pilsudskiego
(photo d'archives)
 
Des documents d’archives montrent les rues de Kazimierz remplies de gens déportés vers le ghetto, portant leurs biens, passant ensuite le pont Pilsudskiego, sur la Vistule, pour rejoindre de l’autre côté Podgórze. Cette scène a été immortalisée dans les premières images du célèbre film de Steven Spielberg La liste de Schindler dont l’action se passe ici — j’en reparlerai dans un billet ultérieur consacré à l’action d’Oskar Schindler dans son usine de Podgórze, la Deutsche Emailwarenfabrik (DEF), à proximité du ghetto.
 
Le ghetto de Cracovie fonctionna de mars 1941 à mars 1943. Le quartier était fermé de murs, construits — suprême dérision ! — en forme de pierres tombales juives — comme pour leur signifier qu’ils étaient dans un tombeau. Les conditions d’existence (de survie) y étaient épouvantables. En raison de l’énorme surpopulation, pouvaient vivre dans un seul petit appartement une quinzaine de personnes, qui souvent ne se connaissaient pas du tout. Les habitants travaillaient sous bonne garde dans des usines situées au-delà des murs du ghetto, entre autres dans l’usine d’Oskar Schindler.
 
En juin et octobre 1942, les nazis menèrent deux opérations dans le ghetto : près de 12 000 personnes furent déportées vers le camp d’extermination de Belżec. Le ghetto fut divisé par des barbelés en deux secteurs distincts. Les personnes jugées aptes au travail furent regroupées dans la zone A, tandis que les « inactifs », essentiellement des enfants, des femmes et des personnes âgées, furent confinés dans la zone B. Les 13 et 14 mars 1943, les nazis liquidèrent le ghetto : les habitants de la zone A, plus de 8 000 personnes, furent déplacés à 1,5 km au camp de travail de Plaszów, dirigé par le Hauptsturmführer SS Amon Göth dit « le Boucher » ; la population de la zone B fut exécutée sur place (les nazis allemands tuèrent environ 2 000 Juifs, dont des malades et des enfants, dans les rues du ghetto) ou déportée au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, à une soixantaine de kilomètres de Cracovie.
 
 
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Une rue après la liquidation du ghetto, 1943
(photo d'archives)
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 L'actuelle place Bohaterów Getta 
 
L’actuelle place Bohaterów Getta (place des Héros-du-Ghetto), ancienne Plac Zgody (place de la Paix), au centre du ghetto, est occupée par des chaises vides métalliques disposées sur le parvis : elles représentent le peu de mobilier que les Juifs chassés de leur domicile emportaient, et leur absence.
 
Dans cette terrible tragédie, on ne sait ce qui l’emporte, du mépris, de la haine, de la férocité des nazis. (Je me suis souvent demandé ce qu’il en était des exécutants, des soldats allemands qui appliquaient les ordres ? Cela en a tout de même produit, des assassins, à partir de gens qui n’auraient jamais battu leur chien...) Qui eut pitié des Juifs, de leur sort ? Peu se manifestèrent. Un homme cependant, un Allemand, Oskar Schindler, intervint. 1 100 Juifs furent sauvés de l’extermination grâce à lui.  Son histoire, racontée dans le film de Spielberg, est  nécessairement simplifiée par le cinéaste : plus complexe, plus ambigüe, plus humaine somme toute, elle mérite d’être approfondie quant aux ressorts de l’action de Schindler, en s’appuyant sur le récit original, basé sur des témoignages de survivants, qu’en a donné l’Australien Thomas Keneally dans son livre La Liste de Schindler (titre original : Schindler's Ark)  publié en 1982, huit ans après la mort de Schindler, d’après lequel a été écrit le scénario du film.
 
 
 
 
À suivre
 
 
 


27/08/2018
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