Rencontre avec Andreï Kourkov
J’ai participé l'autre soir à la Maison de la poésie, à Paris, à une rencontre avec Andreï Kourkov, l’auteur du magnifique roman Les abeilles grises (voir billet précédent ici ). Belle occasion de faire un peu plus connaissance avec cet écrivain ukrainien d'expression russe, à la personnalité attachante, qui se trouve au coeur de l'actualité. Kourkov s’exprimait en français.
Ci-dessous la transcription littérale de ses propos d'après mes notes :
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" Les abeilles grises est un livre sur les gens, pas sur les soldats, la bataille. Plus de 300 romans ont été écrits sur la guerre au Donbass depuis le printemps 2014, mais en fait tous ces livres sont sur les soldats, sur les ennemis, sur les nôtres, sur nos héros… et personne n'a écrit quelque chose sur la vie des habitants du Donbass qui se sont trouvés un jour par hasard au milieu de la guerre, c’est-à-dire ont été rejoints par la guerre, et la guerre est restée chez eux, et ils avaient le choix de devenir réfugiés, partir pour la Russie ou pour l’Ukraine de l’Ouest, ou rester où ils ont habité toujours, mais sans électricité, sans infrastructures, sans magasins, sans pharmacie, dans la « zone grise ».
" Pourquoi les abeilles ? Les abeilles, c’est un symbole du prix de la vie, c’est la poésie, c’est le printemps, c’est l’espoir, c’est tout ça, et encore des rêves de gens simples sur l’avenir de la vie collective, parce que Sergueïtch, qui est le protagoniste principal, il croit que les abeilles sont les seules parmi les animaux qui ont réussi à construire une société communiste. Sergueïtch devient lui-même une abeille responsable de 6 ruches… Tous les apiculteurs en Ukraine sont considérés comme des hommes sages. Le miel a toujours le même goût. Les bonnes choses unissent les gens.
" Il y a beaucoup de rêves dans le roman parce que la réalité est grise. Les personnages se cachent dans le rêve.
" Ce roman, une sorte de fable ? Oui. Mais, aujourd’hui, n’écrit plus de fiction : impossible de se cacher. Écrit beaucoup d’articles dans la presse internationale— en anglais, ce n’est pas un problème pour lui. On étaient préparés en Ukraine à une escalade au Donbass, mais on ne pouvait croire que Poutine détruirait des villes avec les habitants. La seule explication : la guerre est entre le passé soviétique et l’avenir. Et l’avenir ne peut pas perdre.
" La mentalité soviétique coexiste avec la stabilité ; pour les Ukrainiens, c’est avec la liberté. Dans l’imaginaire des Russes, les Ukrainiens sont des fascistes, la Russie libère l’Ukraine. Ce qui se passe aujourd’hui en Russie, c’est Kafka. Les Ukrainiens parlent de l’avenir après la guerre. Lui, attend, il ne peut pas se projeter. Sa famille est ukrainienne et anglaise (par sa femme). Ils ont décidé de rester en Ukraine.
" Russophone, il écrit en russe, mais parle plus souvent ukrainien que russe. Parle 6 langues. Avec la guerre, de plus en plus d’écrivains russophones écrivent en ukrainien. La langue russe est la langue de l’ennemi. N’être que russophone, ce n’est pas agréable aujourd’hui. Tous ses livres sont interdits en Russie, il n’a plus de lecteurs russes.
" Son prochain livre ? Un roman, L’oreille de Kiev [à paraître en octobre 2022]. L’action se déroule en 1919, au moment de la deuxième tentative des Russes pour contrôler Kiev.
" Une méthode d’écriture ? Il y a des principes qui se répètent. Travaille à 4h du matin. Avant et pendant l’écriture, écoute de la musique classique, Mahler par exemple le dé-stresse… Il écrit des livres qui demandent beaucoup de recherches. Ne fait pas de scénarios : quand 40% de l’histoire est prête, entame l’écriture. Mais la fin ne dépend pas de lui, mais des personnages. Tous les villages du roman sont réels, sauf celui de Sergueïtch et de Pachka, ce village aux 2 rues uniques, la rue Lénine et la rue Chevtchenko, qui est imaginaire. Les personnages du roman sont typiques, des prototypes. Les réfugiés n’ont avec eux que des sacs de provisions, pas de valises : les gens dans le Donbass ne voyagent jamais.
" Les Russes se considèrent comme les « grands frères » : les meilleures choses viennent de Moscou. Mais l’Ukraine a toujours proclamé sa liberté contre l’empire russe."
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