"Partir n'a d'autre but que de se livrer à l'inconnu, à l'imprévu, à
l'infinité des possibles. Partir consiste à perdre ses repères, la
maîtrise, l'illusion de savoir et à creuser en soi une disposition
hospitalière qui permet à l'exceptionnel de surgir. »
(Citation de Eric Emmanuel Schmitt
Journal de bord d’Entheos)
Ils ont réalisé leur rêve ! Notre fille Eléonore, notre gendre Lionel et nos 3 petits-enfants, Adélie 13 ans, Paul 11 ans et Théophile bientôt 7 ans, sont de retour au port d’attache, à La Rochelle, après 12 mois de navigation autour de l’Atlantique sur leur catamaran Entheos.
Une belle aventure familiale, partagée, au hasard des routes des uns et des autres, avec plein de « bateaux copains », rencontrés au cours des escales, perdus de vue, retrouvés, plein d’amis, et pour les enfants plein de copains. Une expérience collective inoubliable qui marquera la famille ! Bravo à tout l’équipage !
Je livre ici, pour le plaisir du partage, des extraits choisis du journal de bord d'Entheos tenu par Lionel., reçu au jour le jour par iridium via satellite. En deux parties : d'abord la transat des Caraïbes aux Açores, avec un co-équipier, Axel ; puis la transat des Açores à La Rochelle, sans co-équipier.
Vue plongeante du haut du mât (18 m)
Journal d’Entheos (des Caraïbes aux Açores)
20 mai
Le départ
A 14h00 l'équipage remontait l'ancre et nous quittions les BVIs et
rapidement la mer des Caraibes pour rejoindre l'Océan.
Sourire.
C'est le retour qui commence, avec une halte prévue aux Açores pour
quelques semaines
avant le retour sur la Rochelle et Angoulins.
Entheos semblait heureux d'avoir retrouvé toute sa garde robe, il dansait
sur les reliefs que l'océan dessinait sous ses étraves.
Premier grain à 16h00, grande voile arisée en moins de 3 minutes.
C'est au près que nous commençons notre retour.
Faisant route à 40, 45°. 50 depuis quelques minutes, il est 5h du matin et
mon quart se termine dans une petite heure, Axel prendra le relais. Cette
nuit nous avons navigué au clair de lune, difficile de voir les étoiles...
D'autant que les nuages nous ont déjà retrouvé !
21 mai
Nous n'étions pas partis depuis 2 heures des British Virgin Island que
Théophile me disait : "papa, quand tu iras faire des courses, il faut
penser à acheter du chocolat noir corsé." Provocant un fou rire sans bien
comprendre pourquoi, j'ai repris le concept de "on part en transat" et
expliqué à Théophile que le prochain magasin ne serait pas pour demain…
22 mai
Les quarts sont organisés comme suit. Actuellement, de 3 à 6 je suis de
quart, suivi d'Axel de 6 à 9 puis Eléonore de 9 à midi. Ensuite nous
sommes sur des quarts de 2 h, midi 14h pour moi, 14 à 16 Axel et 16-18
pour Eléonore. On reprend les quarts de nuit de 18 à 21 avec le coucher du
soleil et 3 enfants au poste de barre ... qui ont pu, pour deux d'entre
eux, avant-hier admirer le lever d'une lune rousse superbe. Théophile
était parti se coucher... suivi par les deux grands après ce spectacle
unique.
23 mai
Nous avons du mal à tenir un cap correct dans un vent s'orientant du Sud à
l'Ouest et soufflant de 6 à 10 noeuds. Nous avons continué à avancer avec
un cap quasi Est marchant un petit 4, 5 noeuds.
Mais qui a dérobé le vent ? Éole serait-il à bout de souffle ?
Hier la journée était bien calme, bricolage, cuisine, jeux à bord, pas
assez de vent pour bien avancer mais trop pour se baigner.
24 mai
Après une journée bien calme, nous avons failli battre le record de
lenteur de la pire journée de transat aller…
Mis la GV dans l'axe du
navire et laissé Entheos ralentir à un petit noeud de vitesse. La mer
étant calme, concours de plongeon au milieu de l'atlantique... Grand
bonheur, éclat de rire, yeux pétillants. Quelques oiseaux marins venaient
se poser à côté des deux baigneurs les plus assidus : Paul et Théophile.
Cette nuit le vent a fini par basculer WNW et monter un peu 10/12 kn, nous
permettant de faire un cap aux alentours de 70°N.
Avec le vent c'est la pluie qui a fait son apparition... de manière
modérée accompagnée de quelques nuages bien noirs.
Nous continuons notre progression et avons dépassé les 30% de la distance
qui nous sépare des Açores.
Baignades au milieu de nulle part
25 mai
Peu de vent, peu de mer, du soleil... A 11h00 une nouvelle baignade au milieu de
nulle part pour Eléonore, Paul et Théophile.
Une journée décidément bien différente de la précédente : bricolage,
Eléonore ayant fait de la plomberie, avec Axel j'ai isolé une batterie que
nous avions mis sous surveillance car elle chauffait et qui a gonflé.
Nous avons vécu des rencontres fortes lors de ce voyage. Les yeux remplis
de millions d'étoiles, nous racontons à Axel, les Boutavent, les M&M's,
les Jade, Maïma, Pourquoi pas, les Kusupa, Buble moon, Cata Profité, Mama
Rossa... je crois qu'à un moment il a décroché. Mais les enfants ont promis
de lui faire la liste de qui est qui, qui a des enfants, qui non, qui va vers
les Bermudes, les Açores, qui reste en mer des Caraïbes pour continuer le
voyage !
Et pour lui raconter on s'appuie sur les recettes empruntés aux uns et aux
autres ... alors hier : le riz façon Manda : un régal, promis, on vous
racontera aussi !! A moins que vous ne préfériez le curry façon Marion
(M&M's) ?
Alors non, l'immensité de l'océan, la houle retrouvée, la pluie aussi,
plus dense, plus intense, tout cela et tellement d'autres choses ont fait
que cette journée n'était vraiment pas un copier-coller d'une précédente.
Nous habitons chaque journée passée avec une intensité rare.
26 mai
Du vent, du vent, du vent, presque trop c'est du gâchis ! On a eu une journée
avec 15 - 20 noeuds de vent, et glissé sur la mer. On a même
eu du mal a décrocher Alex du poste de barre. Il semblait figé là,
sourire aux lèvres. Il aura fallu un concours d'événements pour qu'il laisse
notre pilote automatique faire le travail à sa place.
D'abord les baleines, de grands jets d'eau au loin, se rapprochant, et puis ici
une nageoire, là une queue, là encore la forme d'un dos qui ondoie.
Superbe spectacle. Nous les avons dépassées, notre cap divergeant et
nous sommes tournés vers l'arrière pour tenter de les voir encore,
magie de l'instant.
Et là, alors que nous ne l'attendions plus : "il y a un poisson !!" Je ne sais plus
qui a crié mais nous nous sommes empressés de préparer son arrivée à bord.
Pendant que je ramenais les 40 m de lignes, Eléonore et Paul en mettaient
une seconde à l'eau ... sait on jamais. Ils n'avaient pas déroulé 5 m qu'un
thon germon mordait le leurre. Ramené à bord par Paul et Eléonore !
Il allait être rapidement rejoint par son double quelques minutes après que
je remontais aidé d'Axel.
Ce fut dîner de gala, ceviche de thon, salade de thon frais façon Jean Philippe
des Pourquoi pas, thon grillé thai, une trilogie délicieuse appréciée de petits
et grands. On a même entendu - à la surprise générale, Adélie dire
"vous m'en laissez !!" au moment où les garçons se servait pour la seconde fois
de thon grillé.
Que du bonheur pour préparer notre journée de festivités.
Aujourd'hui nous fêtons, non seulement les mamans... mais aussi les 40 ans d'Axel !
40 ans, en transat, au milieu de l'océan. Quelle belle idée ! Il nous reste un bon
thon pour fêter cela.
Sa fête a déjà un peu commencé à la fin de son quart, minuit sonnant, le vent
qui était déjà bien monté a continué sa progression. Avoisinant les 30 noeuds
ce fut le moment de prendre un second ris.
Entheos glisse toujours sur les vagues, bien formées maintenant.
Cap au 15 - 30° Nord
27 mai
Pas de déprime de 1ère semaine de transat pour le moment : trop occupés !
Une belle journée d'anniversaire et fête des mères hier, bien ventée avec
une mer bien formée. Qu'à cela ne tienne Adélie a préparé le repas du midi
(pâtes avec sauce tomates champignons), Théophile de délicieux "coeurs
fondants" au chocolat en portions individuelles... Axel lui a demandé la
recette, il faut maintenant que Théophile la lui recopie pour que les
filles puissent goûter ce dessert à Augsbourg.
Les enfants étaient tellement impatients de donner leurs bricolages à
Eléonore et Axel que nous avons fait fête des mères et anniv en même temps
au dessert du déjeuner. C'était bien sympa.
Le soir notre repas de gala avec un gaspacho, une salade de thon préparée
par Axel et un thon mariné dans la sauce soja, gingembre et sésame et le
reste des desserts de Théophile pour couronner le tout !
Il nous reste encore un peu de thon frais que nous avons prévu de préparer
en rillettes pour aujourd'hui.
Nous avons battu notre record de miles parcourus sur 24h en transat hier
avec 177,8 MN :-) et en route quasi directe pour rendre la chose encore
plus agréable.
Hier mille bornes, nain jaune, uno et yam's étaient de sortie...
Nous avançons toujours bien même si cette nuit le vent est un peu tombé,
nous n'allons pas nous plaindre, la mer n'est plus aussi forte et le
sommeil de meilleure qualité ! Une belle nuit de 4h pour moi vient de
s'achever avec le passage de quart avec Eléonore qui vient d'aller se
coucher. Je reste seul face aux étoiles.
Nous passons la mi transat aujourd'hui !!
Cap sur les Acores en route directe ... Vitesse variable, 4, 5 Noeuds à
10, 11 noeuds sous grain (en cours, ça mouille et lave le bateau)
28 mai
Hier était le jour bof de la transat retour. La fatigue, insidieuse, s'est
installée petit à petit et c'est hier que l'effet s'est fait ressentir
pour la plupart d'entre nous. Conjuguée avec une mer encore forte et
inconfortable, l'énergie n'était pas au rendez vous.
Pour commencer nous n'avons pas relaché le ris de la nuit... Puis pas mis
le gennaker...
Heureusement le vent était encore là, nous permettant de faire presque 170
Miles dans les 24 h
Nous avons quand même combattu le coup de mou par de la bonne cuisine, le
midi une ratatouille à base de papayes vertes et le soir
des lentilles façon Mourad avec des rillettes de thon faites par Eleonore
avec ce qu'il reste de notre pêche.
Pourtant au petit matin nous avions franchi le cap de la mi transat !
Les enfants ont bricolé (Théophile qui nous a même fabriqué le menu du
restaurant "bonne fourchette bonne franquette"), dessiné, joué et
également un peu dormi.
29 mai
Hier après midi le vent a bien chuté et le gennaker ne nous permettait
qu'une timide avancée à 4, 5 noeuds.
À minuit retour d'un peu d'air, et renvoi du gennaker...
À défaut de faire route vers les étoiles, nous visons la lune apparemment,
le vent tournant pour l'accompagner dans sa descente.
Niveau cap ce n'est pas terrible mais c'est joli ce petit croissant qui va
s'amenuisant.
A mon premier quart (entre 18 et 21 h - le soleil se couchant vers 19h30)
pas de nuages et une belle vision sur les étoiles, c'était pur. Au réveil
cette vision d'Entheos navigant vers la lune.
Pour le coup, on pourrait peut être couper l'électronique de bord et
naviguer avec boussole et sextant ! Cela aurait un petit côté poétique,
qui ne me déplait pas.
J'allume l'ordinateur et tombe sur ce message d'Eléonore à joindre au
point du jour :
Le sextant
"L'utilisation du sextant sur Enthéos...
Oui papa [je lui avais transmis cette citation d'Alexandra David-Neel :
"Marche à l'Étoile même si elle est trop haute"],
je marche à l'étoile.
Je ne l'atteindrai pas - quelle prétention!- mais le chemin pour tendre
vers cet objectif est un ravissement.
Je progresse de jour en jour et je suis maintenant capable de faire des
points soleil ou étoiles (mes préférés) : mesures avec le sextant,
calculs, tracé des droites de hauteur sur un canevas de Mercator que je
construis en fonction de notre latitude et longitude.
Il me manque encore un peu de précision apparemment : Lionel et Axel
n'acceptent pas encore de se fier à moi plutôt qu'au GPS! C'est vexant!
J'éprouve une certaine noblesse à être en mesure, sans appareil
électronique, de se situer à quelques milles près (un peu plus pour
moi...) sur la terre! Et cela grâce au génie de quelques hommes qui ont
compris il y a déjà bien longtemps que l'on pouvait positionner n'importe
quel astre avec une infinie précision depuis n'importe quel point de la
terre.
Le sextant ancre à la fois dans la magie de la nature et les racines de
l'hommes. S'en servir est comme un prolongement."
J'oubliais, couper l'électronique c'est aussi se passer du pilote...
demain je ne peux pas, il y a l'anniversaire d’Adélie.
30 mai``
Hier était la grande journée d'anniversaire d'Adélie [13 ans !], bonne
humeur, gâteau, plats simples mais bons choisis par elle, pleins de
petits cadeaux, livres et bricolage, mais aussi collier, petites barrettes
et une boite de pringles.
Une belle journée !
De surcroit le vent était au rendez vous avec une quinzaine de noeuds soufflant
en continu et permettant une jolie avancée après la crainte de la molle entrevue
la veille !
Nous avons fini la journée par la chorale Entheos, Théophile étant couché,
Axel, Adélie, Paul et moi avons interprété quelques airs des chansons dont
nous avons les textes à bord (ou pu retranscrire grâce à la mémoire d'Adélie).
Outre les poissons volants, la salle était comble et nous comptions une
spectatrice pour 4 chanteurs ! Un joli moment avant le coucher.
La lune est toute fine, on voit de mieux en mieux les étoiles, la voie lactée
était superbe à 3h du matin.
J'en profite pour remercier Marc [le routeur] qui nous fait passer entre les molles,
les dépressions, sur une route quasi directe vers les Açores et ce depuis
Jost Van Dycke aux BVIs. Quand on échange avec ceux qui ont fait une route
traditionnelle via les Bermudes, on se dit qu'on a bien
choisi l'itinéraire.
31 mai
L'allure actuelle est confortable, la houle nous pousse
et le vent nous entraîne, le tout dans la même direction, jolis surfs et
belle sensation sur Entheos où les mouvements bercent les dormeurs.
L'équipier de quart peut profiter des étoiles, les journées et nuits étant
encore plutôt claires et les nuages peu nombreux.
Le vent s'est rafraichi et les nuits sont plus humides, on supporte le
pantalon de quart, le pull, le windstopper et la veste de quart ! Hier la
rosée s'est déposée pendant le dîner sur Entheos.
Dauphins !!! Nous n'en avions pas vu depuis notre départ des BVIs et là,
en une journée, ils viennent nous rendre visite par 4 fois ! Des mamans
avec des petits, des groupes qui sautent, mais ne s'attardent pas autour
d'Entheos comme à l'accoutumée !? Les dauphins seraient ils devenus
timides ? Deux familles différentes se sont succédés, des tachetés et des
communs.
Quelle surprise la mer nous réserve-t-elle pour aujourd'hui ?
On avance toujours plutôt bien avec un vent soutenu mais pas trop (15, 20
noeuds hier descendu à 16, 17 actuellement). Par précaution pour la nuit
nous avons quand même enroulé le gennaker ... à minuit et filons
maintenant à un peu plus de 7 noeuds.
1er juin
"Il n'y a que deux conduites avec la vie, ou on la rêve, ou on
l'accomplit"
René Char
Oui quelle drôle d'idée !
Il y a quelques années un bon ami, qui se reconnaitra sans doute à la
lecture de ces lignes que je lui enverrai également, tenta de me
dissuader. Traverser l'océan en famille, sur un petit bateau, au milieu
des éléments, c'est un truc de fou. Je passe les éléments de
l'argumentaire, dense, assez complet et finalement assez convaincant... à
ses yeux. Il ne pouvait pas savoir que les miens étaient partis depuis
longtemps...
Tout cela prend source il y a de nombreuses années…
C'est petit sur l'océan un catamaran de 44 Pieds mais ça
prend de la place dans une famille. Week end, vacances, journées bateau
remplissent l'agenda pendant quatre belles années [de préparation à la transat]
où nous découvrons le littoral français mais aussi nos compétences limitées
et entreprenons de combler les vides.
Tout cela nous mène le 24 juillet à La Rochelle au Grand départ, cette
fois c'est fait nous larguons les amarres. Quel bonheur. Depuis des mois
nous habitons notre rêve, car ce rêve est devenu petit à petit et moment
par moment, celui d'une famille...
2 juin
Fin de nuit bien humide - la brume nous accompagne maintenant de plus en
plus fréquemment - et montée du baromètre à 1022 - cap à 45/50° dans un
vent mollissant en ce moment de 12/15 noeuds à 10-12.
Quel miracle ordinaire la mer va-t-elle nous réserver, me demandais je au
petit matin hier ? En voilà un, des dauphins par dizaines, sautant,
joueurs, tout autour d'Entheos, tout l'équipage se retrouve à l'avant
Nous profitons pleinement de ce contact retrouvé avec cette nature animale
si étonnante, on a comme l'impression qu'ils veulent jouer avec nous !
Petits et grands se livrent à un concours de sauts, s'entrecroisent et
finissent, après une bonne vingtaine de minutes, par disparaître laissant
dans leur sillage comme un parfum de joie et d’allégresse.
La journée d'hier fut bien ventée avec un peu plus de 160 miles parcourus
au loch, ensoleillée également après dissipation des brumes et brouillards
comme le dit la formule consacrée par les présentateurs météo. Ensuite
papotations, jeux de société, un peu de bricolage, surveillance du bateau,
cuisine...
Nous sommes au petit matin à 394 miles de notre point d'arrivée, ayant
parcouru 1989 miles depuis le départ, ce qui montre bien que le
cheminement d'un navire en mer n'est pas en ligne droite, même si nous
avions choisi celle qui est communément appelée la route directe vers les
Açores.
Une pensée pour nos amis Diane et Pascal sur Diapason - un Helia 44
fraichement sorti des chantier FP - qui sont à une petite 50aine de miles
derrière nous, faisant également route vers Flores et doivent maintenant
barrer en continu se relayant à deux depuis plus de 24 heures, pilote
automatique en panne. Heureusement la météo semble plutôt clémente devant
nous ce qui rend l'exercice assurément pénible mais possiblement pas
périlleux.
3 juin
Nous avançons enfin en route directe vers Flores avec un vent travers plus
fort qu'attendu, 12, 13, 14 puis 18, 19, 20 noeuds. Entheos apprécie et
file bien sur son cap sans avoir atteint notre record de vitesse. Cela
fait du bien de se savoir bientôt arrivé !
Belle journée, bien brumeuse hier le matin et ensoleillée l'après midi,
avec encore des dauphins, de plus en plus joueurs.
Le vent tournant, l'allure était moins confortable un moment; mais rien de
bien grave.
Je prends mon quart à 3h du matin, une surprise m'attend. La mer est noire
traditionnellement, parfois quelques lucioles vertes glissent sur la coque
comme autant de petits planctons phosphorescents. J'ai essayé de prendre
en photo... Le bateau bouge, la lumière est insuffisante : cela ne donne
rien ou plutôt si, je l'appellerai abstraction noire pour faire dans l'art
moderne.
La mer, par conséquent, est noire la nuit. Bien sombre. Je regarde les
voiles, l'allure, le bon fonctionnement du pilote, tout va bien. Mon
regard est alors attiré par un phénomène surprenant et jamais encore
rencontré dans nos navigations nocturnes. De l'écume revient le long du
bateau mais en sens inverse à l'accoutumé. Sillon blanc, parfait qui
remonte la coque. Un, deux, trois sillons. Puis encore un plus loin, la
mer semble déchirée de ces surprenants phénomènes. J'allume ma frontale
pour tenter de comprendre le mouvement étonnant de l'eau. Mais ne vois
rien, la puissance est insuffisante. Et cela continue, encore et encore.
Je vais chercher le projecteur et le braque sur la première trainée que
j'entrevois dans le noir, l'eau semble tourbillonner comme aspirée par
quelque chose, le sillage d'un objet ou un animal marin, mon cerveau -
encore passablement embrumé du réveil matinal - insiste sur l'animal, et
je remonte le faisceau lumineux à la source : Dauphin !
Je suis accompagné lors de cette première heure de quart d'une myriade de
trainées blanches et écumeuses, comme autant de dauphins joueurs qui
accompagne la jolie progression d'Entheos vers Flores. Gris et blanc, ils
sont beaux à voir évoluer, mais je coupe rapidement le projecteur ne
voulant pas perturber leur évolution aquatique et nocturne.
3 juin flash info
Incident
17h07 UTC : la drisse de Gennaker casse, la voile passe à l'eau sur
tribord. Axel, de quart à cette heure de sieste sur Entheos (15h07 heure
du bateau) lofe pour ralentir et tenter de préserver la voile. Adélie se
précipite dans notre cabine pour gérer au plus vite.
J'allume le moteur babord tandis qu'Eléonore - gilet et sangle en place -
rejoint Axel à l'avant. Le Gennaker, toujours tenu par son écoute est
allongé dans l'eau sur tribord. Il est remonté lentement mais sûrement par
Axel et Eléonore et je lache l'écoute - qui le maintient dans l'axe petit
à petit. A 17h30 GV et génois sont gonflées et réglées, moteur éteint,
gennaker récupéré, bout dehors sécurisé (la sangle avant avait laché).
La voile semble ne pas avoir subit trop de dommage - juste une déchirure
sur un bord en parallèle du bord, réparable !
Et des dauphins à intervalles réguliers qui viennent saluer notre
évolution.
Le moral reste bon malgré l’incident.
4 juin
Dernière nuit de quart pour ce : Jost Van Dyke, BVIs - Flores, Les Açores
Au moment d'écrire ces lignes, il est 4h15 sur Entheos, 6h15 UTC, les
côtes ne sont pas encore en vue mais 62 miles seulement nous séparent de
la terre.
Nous serrons le vent au plus près dans un confort somme toute relatif. La
mer du vent s'est formée, croisée avec la houle c'est d'un plus bel effet
au niveau sensation, on s'approche de Disney et autres parcs d'attraction.
Montagnes russes en continu.
Au réveil je demande à Théophile s'il ne voit rien dehors, nous sommes à
une petite trentaine de miles de notre way point...
"Terre, je vois la terre, c'est moi qui l'ai vue le premier !
- Cela fait longtemps que nous ne l'avions vu, pas ?
- Oui ! 2 ans ! "
La notion de temps reste relative...
On la voit mais nous n'y sommes pas encore, le vent refusant.
Après calcul nous devrions toucher la terre dans 4 à 5 heures
5 juin
Arrivée à Florès !
Quelle joie de retrouver la terre
Flores est bien verte et couverte de fleurs, un bonheur
Nous avons passé la nuit au port, il est tout petit ce port, à
l'emplacement d'un pêcheur parti pour une campagne,
on verra demain pour la place, nous dit le maître de port.
Une nuit sans quart et sans mouvement, un bon sommeil réparateur.
Nous arrêtons nos conversations via satellite.
Peinture d'Adélie
Après une halte de 4 semaines sur l'île des Açores (une île magnifique et préservée, accueillante, qui a séduit la famille) la deuxième partie de la transat retour : des Açores à La Rochelle. Cette fois-ci sans co-équipier.
Journal d’Entheos (des Açores à La Rochelle)
7 juillet
Départ
Cette nuit une pluie d'étoiles filantes pour ma prise de quart, et la voie
lactée comme décor.
8 juillet
Orage
un peu de fatigue, nous avons passé la nuit à jouer à cache cache avec les
orages et un gros cortège d'éclairs
vents soutenus, nous avons pris 2 ris et enroulé le génois à 50%
veille très attentive pendant nos quarts de nuit, passage de quelques
grains mais les éclairs restent au loin. Et au petit matin, au
changement de quart, Entheos a traversé un bel orage que nous n'avons pu
éviter
J'ai coupé toute l'électronique par sécurité (éviter qu'un éclair nous la
coupe pour de bon) et Eléonore a barré - avec le sourire... les
conditions de vent devant faire paraître Entheos identique à un Surprise de
la SRR - du moins est ce que j'ai cru voir à travers la fatigue qui
m'écrasait alors !
3/4 d'heure après j'ai rallumé l'électronique de bord et le pilote... et
pu filer me coucher pour récupérer d'un quart un peu long.
Maintenant... l'orage est reparti avec le vent…
9 juillet
Les quarts pour cette dernière traversée sont organisés comme suit :
6-8 H Eléonore
8h-9 h Paul
9h midi Lionel
Midi-14h Eléonore
14h-15h Adélie
15-17h- Lionel
17h-18h30 Eléonore
18h30 - 20h Lionel
20h-21h Paul
21h-22h Adélie
22h - 2h Eléonore
2h-6h Lionel
Les enfants sont bien appliqués et veillent au(x) grain(s), viennent nous
chercher si besoin comme Adélie hier 10 minutes avant la fin de son quart,
en raison de nuages bien gris s'approchant rapidement !
Théophile aimerait bien faire un quart aussi, nous allons voir comment
l'intégrer au mieux.
10 juillet
Voir les enfants faire leur part, et pas que dans les quarts, est à la
fois fascinant & émouvant. L'absence d'équipier leur permet de prendre
plus de responsabilités, et, bizarrement, nous laisse le sentiment d'avoir
plus de temps pour nous !
11 juillet
Au petit matin le temps est bien gris, c'est un peu déprimant, nous
restons majoritairement à l'intérieur, mis à part la surveillance et les
manoeuvres.
Et, petit à petit, la grisaille s'évanouit, laissant place à un ciel de
plus en plus lumineux... il faudra toutefois attendre l'après midi pour
voir enfin le soleil ! Heureusement - il nous fait du bien car la fatigue
commence un peu à s’installer.
La journée avance avec pas mal de lecture, jeux de société, cuisine et
repos... et, alors que c'est presque l'heure du repas : un poisson ! Nous
remontons ce sympathique spécimen de la famille du thon (ressemblant à la
bonite mais sans rayure). Découpé en steack et ceviche - une petite pensée
pour Jean Philippe des Pourquoi pas quand je prépare le ceviche gingembre
ou baies roses, cueillies ensemble à la Gomera ! Un régal le tout avec des
lentilles façon Mourad préparées par Eléonore.
12 juillet
Retrouvailles en haute mer
Hier matin, 6h15... je terminais mon quart tranquillement (nous avions
décalé les quarts d'une demi heure en raison d'un diner plus tardif qu'à
l'accoutumée), un bateau apparait à l'AIS : AIS préférentiel, M&M's. Le
temps de me frotter les yeux : il avait disparu.
Appel VHF : sans succès.
Peut être suis-je pris d'hallucinations (ça arrive en mer, le manque de
sommeil etc), nous savons que les amis sont partis un jour avant nous de
Punta Delgada, plus au sud et que nous pourrions les croiser, alors
j'imagine les voir sur la route, pourtant vaste... Ils vont vers les
Scilly et ensuite rentrent chez eux en Belgique, nos routes pourraient
bien se croiser...
9h00, cette fois c'est sûr : M&M's réapparait à l'AIS, appel VHF et nous
échangeons avec Marion, leur bateau se trouve à une bonne dizaine de miles
de nous.
Nous allons nous appliquer toute la journée pour les rejoindre malgré un
cap légèrement différent.
Puis la pétole nous tombe dessus ! Nous sommes alors à 5 Mn d'eux
Nous décidons d'allumer les moteurs pour les rejoindre.
Retrouvailles en haute mer après le goûter, les enfants sautent sur le
pont sur Entheos comme sur M&M's... Discussion à quelques mètres, nous
ne pensions pas nous retrouver aussi tôt ! ... Et baignade pour les plus
courageux. Une première pour nous que de surveiller un bateau copain et
des nageurs dans le même temps ! Bien sympa de vous avoir croisé ici les
amis ! Bon vent !
13 juillet
Cap au Nord
S'éloigner pour mieux revenir... telle est parfois la règle à la voile
Après une belle nuit bien calme, nous avons battu notre record de lenteur
sur l'eau en 24h : moins de 100 M parcourus ! Et nous ne sommes pas peu
fier de ce nouveau record, comme un éloge de la lenteur...
Nous continuons avec un cap de plus en plus Nord pendant cette journée,
jusqu'à atteindre un cap à 350/0° ... et nous éloigner de notre point
d'arrivée. Nous guettons la bascule du vent. Cap au près, moins
confortable, dans un vent changeant en intensité et direction.
Le cap n'est pas bien net, Entheos fait route vers Arcachon voir les rias
espagnoles par intermittence... Parfois il va même jusqu'à viser la
descente le long du Portugal. On décide de continuer sur ce bord jusque
demain matin et voir ce que cela donne, il nous faudra peut être enchaîner
les virements de bord. Nous ne sommes plus habitués à ces navigations aux
vents si changeants !
14 juillet
Le rail
L'après midi après le quart d'Adélie et notre sieste, c'est musique - hier
du classique, opéra puis piano; puis je joue au Uno avec Adélie et
Théophile (Paul lit et Eléonore est absorbée par Mozart); enfin tarot avec
les deux grands et Théophile peint !
A l'heure du diner, un cargo à l'AIS, puis deux, quatre, dix... jusque 20
! C'est de la reproduction instantanée ?!? Non l'approche du Gascogne et
les cargos qui s'alignent pour le passage du rail du Cabo Finistère.
Bon... et bien nous aussi on va devoir s'aligner, heureusement le vent
permet un passage perpendiculaire du rail qui dure des heures avec parfois
des cargos qui passent devant à deux ou trois miles de nous. Surveillance
et vigilance.
Ce rail marque surtout pour nous la porte d'entrée pour le Golfe de
Gascogne ! Le but approche.
15 juillet
Pêcheurs d’Espagne
Prise de quart à 3h, ciel éclairé par une superbe lune, pas de nuage à
l'horizon, je devrais voir les étoiles "exploser" d'ici une demi heure.
Par contre à l'AIS... des pêcheurs espagnols comme s'il en pleuvait !
Après les cargos du rail, voici les pêcheurs d'Espagne.
Nous sommes à une centaine de miles de Gijon.
Autant le cargo va à une vitesse régulière avec un cap stable, autant le
pêcheur demande une surveillance permanente.
Pêcheur à 10 MN. Il est sur tribord et descend vers le sud, tu lofes de 5°
pour bien passer à son nord, il avance 1 noeud, il pêche. Tu fais cinq
mile en une heure et là... il a fait demi tour et revient couper ta route.
Tu vises son arrière en débordant largement (il est souvent suivi de
lignes, ou d'un filet...). C'est bon, je vérifie. Non il tourne encore
mais cette fois ci file sur ton cap 10 miles plus loin à 7 Noeuds... Tout
est à refaire !
Ça c'est la version à 1... il y a des versions à 3 ou 4 qui pêchent plus
ou moins ensemble.
Il faut dire que par mer calme comme aujourd'hui, cela doit être plutôt
sympa pour eux qui sortent par tous les temps, ou presque !
Certains sont équipés de lumières (pour remonter les filets ?) qui, quand
ils virent de bord, t'éblouissent pendant 5 minutes et te laissent "aveugle"
pendant 10 !
16 juillet
A 159 MN de l'arrivée
Pas trop fort le vent... pour maintenir le suspens... un
petit 10 noeuds ! Mais on avance en route directe vers la Rochelle à 6/7
noeuds en route fond.
Il est 9h35, j'ai repris mon quart à Paul qui achève le sien en lisant un
peu.
Nous sommes à 159 MN de l’arrivée
Le retour des baleines : deux fois aujourd'hui, ce matin nous les croisons
et elles passent sur l'arrière non loin dans
un balai gracieux pour de tels masses animales. Et puis en début d'après
midi, de beaux souffles, un peu plus loin
d'Entheos.
17 juillet au matin
Voilà un matin bien différent qui se profile à l'horizon.
Eclipse de lune cette nuit, Eléonore a tracé son témoignage sous forme de
croquis sur le livre de bord, seule témoin à bord de ce spectacle lunaire.
Au petit matin... ça sent la terre. Une odeur différent, humus ou pin
mélangé, quoiqu'il en soit nos narines ressentent une odeur. On sent la
terre avant de la voir peut on lire dans les livres, c'est bien vrai. Elle
celle ci a une odeur particulière.
Comme les vieux chevaux au retour à l'écurie, Entheos piaffe
d'impatience de retrouver le port de la Rochelle.
Un petit matin prise de tête aussi sur les marées... ça passe, ça passe
pas ? C'est vrai que nous n'avons plus trop l'habitude, là d'où l'on vient
c'est anecdotique la marée.
17 juillet à 12h24
ARRIVEE à La Rochelle !
10h24 UTC, 12h24 heure française
Entheos a franchi la ligne d'arrivée
Accueilli par deux bateaux copains
Nous sommes maintenant amarrés au ponton de la capitainerie de la Rochelle
Ça y est, la boucle est bouclée !
Peinture d'Adélie
La Voie Lactée
Message d'Eléonore
Bien arrivés ce matin !
Accueillis par une flopée de copains,
repas, voiturage, frigo rempli, maison
ouverte, jardin nickel, et apéro ce soir
chez nous !
Je vous appelle quand on touche terre
(au sens figuré maintenant)