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Se réserver une arrière-boutique

 

 

« Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l’est à sa façon. » 
 
Cet incipit d'Anna Karénine, de Tolstoï, me fait penser — preuve de la prégnance des événements que nous vivons — au malheur singulier de la famille humaine minée de l’intérieur par l’emballement du coronavirus, l’émergence inquiétante des variants anglais et sud africain etc. Quand en verrons-nous la fin ? On ne parle plus guère, vous l’avez remarqué, du monde d’après, parce qu’on a bien pris conscience qu’on est, et pour un certain temps encore, en dedansAussi le climat général est-il morose, la convivialité est dégradée, nous sommes tous, on pourrait dire, co-vidés
 
Le mal dont nous souffrons ne trouve pas de nom : effondrement, angoisse, anxiété… toutes les couches de la population sont touchées... les jeunes, ceux qui ont perdu leur travail, ceux qui craignent de le perdre, les personnes isolées, tant d'autres. Les jeunes particulièrement paient un lourd tribut, qui se retrouvent seuls dans leur cité U, loin des parents, sans cours en présentiel, sans jobs, sans contacts, alors même que c’est à travers ces contacts qu’ils construisent leur autonomie.
 
Avec cela, notre tête est pleine, pleine d’infos indéfiniment répétées sur la progression difficilement contrôlable du Covid, les restrictions nouvelles ou anciennes à respecter, les vaccins, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, la lenteur des vaccinations etc. ; pleine aussi d’intox, à nous de démêler le vrai du faux, se garder de cette violence qui s’attaque aux sentiments. Il n’y a pas que le Covid qui est contagieux, l’ambiance morose l'est aussi. Bref, il faut survivre. Prendre ses distances. Mais comment ? Les voyages ne sont pas d’actualité.
 
Reste un moyen vers lequel de tout temps les sages, dans des contextes bien différents, se sont tournés : c’est pratiquer un certain retrait. Pas un repli stérile sur soi, pour se mettre à l’abri ; mais un retour sur soi pour y trouver un ressourcement et gagner la liberté. Montaigne a été maître en la matière, qui invite dans les Essais  à « s’arrêter et rasseoir en soi ». Les expressions du philosophe sont savoureuses et valent d’être appréciées pour elles -mêmes : 
« Il se faut réserver une arrière-boutique, écrit-il, toute nôtre, toute franche [libre], en laquelle nous établissions notre vraie liberté et principale retraite et solitude. En cette-ci, faut-il prendre notre ordinaire entretien, de nous à nous-mêmes, et si privé, que nulle accointance ou communication de chose étrangère y trouve place ».
 
Ce lieu retiré, à distance des bruits de la société, qu’est l'« arrière-boutique », offre les conditions pour juger librement des choses, comme le dit encore Montaigne : « Le sage doit au-dedans retirer son âme de la presse, et la tenir en liberté et puissance de juger librement des choses ». Ainsi se construit un sujet, capable d’une pensée autonome. Et cela rapproche du bonheur, s’il est vrai, comme l’enseignent les sagesses orientales, que le bonheur est un état d’être qui ne peut pas dépendre de ce qui nous est donné ou de ce qui ne nous est pas donné : le vrai bonheur, autrement dit, se trouve dans l’état présent, il ne dépend d’aucun futur ni de rien d’extérieur. Celui qui, suivant le conseil de Montaigne, « se rasseoit en soi », se met en situation d’expérimenter que seul compte l’instant présent, non dépendant, et approcher du bonheur. 
 
 


17/01/2021
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