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De la crèche de Noël à l'interprétation des Écritures

 

 

Nous allons bientôt relire le récit touchant de la crèche, du boeuf et l’âne… visiter des crèches dans les églises etc. Un parfum de retour à l’enfance. Plus que cela, un geste qui nourrit l’expérience intérieure. Peut-on croire pour autant à la véracité historique des événements rapportés ? que Jésus serait né dans une étable à Bethléhem ?
 
 
Disons-le tout net, nous savons depuis plus de 100 ans, suite aux recherches des exégètes et des théologiens, le peu de crédit historique qu’il faut accorder à certains des récits évangéliques, en particulier ceux de l’enfance de Jésus qui le font naître à Bethléhem. C’est à cause de leur foi en la messianité de Jésus, et sans doute afin de se fourbir en arguments pour affronter la polémique avec les Juifs nullement convaincus de cette messianité, que des chrétiens, assez tardivement d’ailleurs, crurent pouvoir affirmer que Jésus était né à Bethléhem, puisque, selon une antique prophétie, le Messie devait y naître.
 
La première génération de chrétiens, notons-le, était beaucoup moins sûre que cela de l’origine bethléhémite de Jésus. Elle était même tout persuadée du contraire. Marc, l’auteur le plus ancien d’un des quatre évangiles, ne doute pas que Jésus soit né à Nazareth. C’est « de Nazareth en Galilée » que vient Jésus, affirme-t-il dans son évangile. Jean, auteur plus tardif du quatrième évangile, ne sait rien non plus d’une naissance à Bethléhem. Cela l’aurait pourtant bien arrangé, car il ne savait que répondre à l’objection que les Juifs ne manquaient pas d’opposer à la messianité de Jésus : il n’était pas de Bethléhem. « Le Christ viendrait-il de la Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et du bourg de Bethléhem que le Christ doit venir ? » D’ailleurs, « de Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » avance un contradicteur.
 
Jésus est donc bien originaire de Nazareth et non de Bethléhem. C’est à cette origine nazaréenne que se rattache le surnom de « Nazaréen », c’est-à-dire « homme de Nazareth » donné à Jésus puis, dans le monde sémitique, aux disciples de Jésus (« le parti des Nazaréens »), tandis que dans le monde gréco-romain ils reçurent le surnom de « chrétiens » (partisans de Christus ») qui prévalut par la suite. On peut préciser historiquement que Jésus le Nazaréen a appartenu au milieu des amé-ha-harès : gens simples, sans fortune, à la foi solide, le milieu même d’où est sorti toute une littérature de « pauvres » comme les Psaumes, qui comptent parmi les plus beaux témoignages d’humanité. Jésus est un amé-ha-harès, il est du peuple et restera toujours proche du peuple dont il parle la langue simple et imagée, telle celle des paraboles.
 
Relisant donc dans les évangiles (de Matthieu et de Luc) le récit de la naissance de Jésus dans une crèche à Bethléem, nous savons faire la part des choses entre la véracité historique et le sens symbolique porté par le récit, et nourrir notre vie intérieure de ces symboles. Il en va ainsi de bien des textes bibliques. Seuls les fondamentalistes s’accrochent au sens littéral, voulant croire par exemple, comme les partisans du créationnisme, que le monde a été créé en six jours, comme écrit dans la Genèse... 
 
Si donc dans la chrétienté (et le judaïsme) il est admis que les textes sacrés représentent une grandeur historiquement conditionnée, qu’à ce titre ils sont susceptibles d’interprétation, il n’en va pas de même dans l’islamisme, et c’est problématique.
 
 
Reprenons les choses à la base. Si dans les trois religions monothéistes le texte des Écritures est sacré, il ne l’est pas de la même manière. 
 
Les chrétiens considèrent les Écritures comme des textes historiquement conditionnés dont les auteurs ont été inspirés par Dieu : ce qui laisse place à l’interprétation, en prenant en compte le moment historique de leur rédaction, la personnalité des auteurs, leur but en écrivant ces textes etc. — comme on l’a vu à propos des récits de la naissance de Jésus, écrits pour soutenir la foi en la venue du Messie.
 
Côté judaïsme, le principe même de l’interprétation est inhérent aux textes sacrés, qui s’appuie sur la Torah écrite et le Talmud, commentaire oral du texte biblique.
 
En revanche, pour les musulmans, le Coran représente le recueil des paroles de Dieu dictées au prophète Muhammad (né à La Mekke vers 570, mort à Médine en 632) par l'ange Jibrîl (Gabriel), verset par verset, au cours des 23 années de sa mission. Révélé en langue arabe coranique (langue littéraire qui s’apparente aux parlers des tribus de la péninsule arabique), le Coran doit être transmis en arabe coranique. Il en résulte que, formellement, aucune interprétation n’est possible, ni même aucune traduction, puisque traduire c’est interpréter… Position intenable qui conduit à quelques contorsions.
 
D’abord, formellement, le texte ne peut être lu — récité —que dans la langue d’origine dans laquelle il a été dicté. Qui ne maîtrise pas l’arabe coranique n’a pas accès au Coran. Cependant il faut bien donner des traductions (le Coran est censé s’adresser à toute l’humanité : « Nous t’avons envoyé à la totalité des hommes »), alors ces traductions ne seront pas appelées « traduction » mais « essai d’interprétation (tafsir) du texte inimitable du Coran ». Comme quoi on en arrive tout de même à la notion d’interprétation...
 
Mais ici on rencontrera, historiquement, dès la deuxième moitié du IXᵉ siècle, deux courants à l’intérieur de l’islam : d’un côté ceux qui faisaient prévaloir l'argument de raison, qui dégage le sens relatif du texte, rapporté à son contexte ; de l’autre, les traditionalistes, juristes, théologiens, qui vont verrouiller la foi dans le dogme d’un Dieu tout-puissant, face auquel le croyant ne peut que se soumettre (d’où le nom de muslim, musulman : « croyant soumis aux préceptes divins »).
 
L’affrontement se focalisera sur la question de la nature du texte coranique. Les traditionalistes (on dirait aujourd’hui les fondamentalistes) l’emporteront sur les partisans de la raison, en soutenant que le Coran est non pas « créé », c’est-à-dire inscrit dans l’histoire et le temps, mais « incréé », venant directement de Dieu, donc intemporel. À partir de là, on n’enseignera plus, dans les écoles coraniques, jusqu’à nos jours, que cette « vérité » partisane d’un texte intangible valable en tout temps et en tout lieu, générateur d’obscurantisme.
 
Il est dommageable pour tous que cette « vérité » ne soit pas remise en question au sein de l'islam, ou seulement par un courant minoritaire. Car elle est à l’origine de ce qu’on voit de pire aujourd’hui en termes d’intolérance, de non respect de l’autre et d’agressivité, quand bien même le Coran véhicule par ailleurs un message d’amour, complètement brouillé par les appels au djihad qui répandent guerres et terreurs — appels basés sur des lectures littérales, datées, du texte sacré, hors toute raison critique.
 
J'ai parlé cependant d'un courant critique minoritaire qui perdure aujourd'hui, au sein de la lignée chiite  (en revanche, pour la lignée antagoniste sunnite, aucune ouverture possible : le texte du Coran "incréé" est à prendre au pied de la lettre). Ce courant critique développe son propre ijtihad, effort d'interprétation, laissant espérer des développements qui libèrent la Parole du carcan de l'obscurantisme.
 
[Une lueur d'espoir : un ami, Guy R., que je remercie ici, m'a communiqué l'interview d'une iman, Kahina Bahloul, fondatrice de la mosquée Fatima, qui vient de publier Mon islam, ma liberté et défend cette ligne réformiste.
Extraits :

"L'islam occupe une grande part de la scène médiatique occidentale et lorsque celle-ci s'y intéresse, c'est dans la majorité des cas pour en parler comme d'une religion instrumentalisée par des idéologies politiques fondamentalistes et violentes, et jeter l'opprobre sur les fondements mêmes de celle-ci pour en faire une religion belliqueuse apportée par un prophète aux allures d'homme politique guerrier. Cela se fait au détriment d'une approche historique objective débarrassée des préjugés d'hier et des malentendus d'aujourd'hui. Or, l'islam dans sa réalité est d'abord une spiritualité, une sagesse qui alimente la foi de millions de personnes.

" Cette suspicion aboutit, d'un côté, à une amnésie collective quant aux riches apports de l'islam à l'histoire de l'humanité dans les domaines des savoirs scientifiques, des arts et de la culture. De l'autre,
à une cécité envers tout un pan de la production intellectuelle contemporaine des penseurs
musulmans. La pensée réformiste musulmane existe pourtant depuis le XIX" siècle. Ce courant n'a malheureusement pas rencontré le même succès que le fondamentalisme, le soutien financier des monarchies pétrolières lui ayant fait défaut."]

 

Revenant à la crèche que je suis en train de ré-installer chez moi, je me réjouis du chemin critique qui a été réalisé depuis 100 ans dans la chrétienté, nous permettant d’accéder sereinement au sens profond, symbolique, des textes sacrés et nourrir notre vie intérieure. La matérialité des faits reste extérieure. C’est comme une construction. L’essentiel ne réside pas dans les murs, mais dans le sens de la construction, ce pour quoi elle a été faite, sa finalité, ce qui définit in fine l’esprit des lieux.
 
Méditant devant la représentation d'une crèche, ou me ré-imprégnant des récits de la naissance de Jésus, je m'inscris dans une activité consciente d'interprétation des Écritures visant à retrouver le sens immanent aux récits évangéliques.
 
La crèche, avec l’âne et le boeuf et la mangeoire, est un étrange réceptacle pour accueillir ce qui relève du grand mystère de l'incarnation du divin, qui nous englobe et nous dépasse. On aurait plutôt imaginé un grand palais, avec des richesses à profusion, comme le sont les lieux de culte prestigieux, à Rome ou ailleurs, pour être à la hauteur de l’événement : faire signe dans le monde des hommes avec les attributs reconnaissables de la société de l’avoir. Mais non, ce mystère n’est pas de l’ordre de l’avoir : il est de l'ordre de l’être, invisible aux yeux de l'extérieur... 
 
 
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Dans l'attente de Noël, ré-installation de la crèche,
fabriquée par mes soins avec du bois du jardin...
 


09/12/2021
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