Sur le chemin du Mont-Saint-Michel
Sur les chemins douaniers de la Côte d'Emeraude
La marche, plusieurs jours durant, sur les sentiers douaniers accidentés du GR 34 au long de la Côte d’Émeraude, alternant rochers et dunes, caps et baies, falaises et plages, nous a fait découvrir de magnifiques points de vue, du Cap d’Erquy au Cap Fréhel, de la Pointe de St-Cast à la Pointe du Grouin, de Val-André à Dinard et St-Malo, de superbes paysages sous des ciels d’orage ou nimbés d’une lumière tour à tour transparente ou diaphane, évanescente à certaines heures : jusqu’à découvrir enfin, très loin sur l’horizon, par-delà la Baie, un tout petit point minuscule : le Mont-Saint-Michel, but de notre pérégrination.
Sur la ligne de fuite tout au loin le Mont-Saint-Michel
Ce point que, passé Cancale, on ne perd plus de vue depuis la côte en parcourant les immenses étendues plates le long des herbus, va désormais aimanter nos regards, comme l’Étoile qui donne le cap.
Je me remémore la devise d’Alexandra David-Néel : « Marche à l’Étoile Même si elle est trop haute ». Mais le Mont-Saint-Michel n’est pas trop haut, pour l’heure - il se fait tout petit : c’est un point, voilà tout.
Le point, dans l’univers d'Euclide, n’est qu’un des éléments des figures géométriques - le plus élémentaire peut-être, puisqu’il est postulé sans dimension : ni longueur, ni largeur, ni épaisseur. Tel le Mont-St-Michel pour nous dans sa première apparition : l’expérience élémentaire de l’absence de dimension, comme un appel au dépouillement, la réduction au simple, au constituant.
Pour Leibniz, le constituant de toutes choses - matérielles et spirituelles - est fourni par les monades : celles-ci sont élémentaires, sans fenêtres - seules comptent les relations entre elles. Le point qu’est la monade n’est pas juste un point, un réseau de relations s’organise autour d’elles qui les constituent. Ainsi on devine, en marchant l’oeil aimanté par ce point qui grossit au fur et à mesure de l’approche, que ce Mont, qui commence à prendre la forme encore minuscule mais élancée de la silhouette bien connue, symbolisant la dimension de la verticalité qui émerge désormais, va se trouver au centre d’un intense réseau de relations, entre ciel et terre.
Sur d'immenses étendues les moutons de pré salé
Mais le point de vue évolue encore. Et tandis qu’au fil des kilomètres de cette dernière ligne droite, on dépasse tout au long des centaines de moutons broutant la flore parfumée des prés salés, voici que le Mont-St-Michel enfin se révèle dans son entière plénitude. Nous savons alors que nous marchions en vérité pour ces instants où, comme disait le poète Segalen, « rien n’existe en ce moment que le moment même ».
Une des originalités du mathématicien Grothendieck [voir un billet précédent] aura été d’approfondir la notion de point géométrique. La forme ultime de cette recherche tourne autour de la notion de motif, vue comme un phare éclairant toutes les incarnations d’un même objet à travers divers habillages éphémères. Tel sera le Mont-St-Michel comme ultime motif, nimbé des habillages éphémères de lumières fugitives, d’eaux vaguantes et de sables mouvants.
Lever de soleil vu du Mont
Lever de soleil sur le Mont
L’impression de parfaite harmonie que l’on ressent sur le Mont se renforce aux heures de totale solitude du petit matin (nous avons eu l’opportunité de dormir sur le Mont, accueillis dans la Maison du pèlerin) quand le site enveloppé de silence, baigne dans la lumière dorée du soleil levant, dressé comme une immense pierre levée.
La chapelle St-Auber au soleil levant
Il est temps encore de flâner. Du côté de Tombelaine, par où arrivaient jadis les pèlerins, les rayons mordorés caressent les vieux murs de la chapelle St-Aubert. Un étrange rocher, devant la chapelle, reproduit la forme de l’îlot de Tombelaine. Il semble marquer le passage des lignes de forces telluriques qui jaillissent du Mont, autour desquelles s’organise la verticalité des constructions en étagements successifs : de Notre-Dame-sous-Terre (au niveau des pierres levées du tout premier sanctuaire druidique) et des cryptes, jusqu’à l’église abbatiale et la flèche du clocher, surmontée par la statue en cuivre de saint Michel...
Statue de l'archange St Michel terrassant le dragon
Michel ou Mîkhâ'êl [Qui est comme Dieu ? ], archange [ou ange en chef] du judaïsme, du christianisme et de l'islam, est représenté terrassant le dragon. Ce combat symbolise la lutte contre le mal. Saint Michel ne tue pas le dragon, selon la tradition il le "terrasse" : le combat n'est jamais gagné pour de bon, le mal reste toujours présent...
Cependant les premières vagues de touristes, Asiatiques surtout (le Mt-St-Michel, ou la situation du Mt-St-Michel, doit évoquer quelque résonance dans leur culture ?), prennent le rocher d’assaut. Il est temps de se retirer, gardant dans la mémoire vive les péripéties du chemin, les moments de la marche vers le Mont, tout imprégnés encore de la beauté des paysages, comme s'ils étaient entrés en nous.
« L’esprit du paysage et mon esprit se sont concentrés et, par là, transformés de sorte que le paysage est en moi » (Shi Tao).
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