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There’s a crack in everything...

 

 

 

"There’s a crack in everything
that’s how the light gets in"
 
Il est une fissure en toute chose
c’est ainsi que la lumière y pénètre
 
 
 
Ce vers, un des plus célèbres de Leonard Cohen, est extrait d'un poème intitulé Anthem. Cohen l'a repris du poète Federico García Lorca, qu'il a découvert à l'adolescence, et il dit lui-même de ce vers qu'il "recèle l’idée fondamentale que l’on trouve derrière beaucoup de [ses] chansons".
 
De fait, si Cohen chante les rencontres, les séparations, l'amour-passion, le sexe, les choses parfois difficiles de la vie — il a aussi une profonde perception de la spiritualité, laquelle inspire toute son oeuvre.
 
Sa spiritualité s'abreuve à plusieurs sources  — d'abord juive : Cohen naît dans une famille juive ashkénaze de Montréal au Québec, qui pratique les rites, et son identité s'est forgée au contact de son grand-père maternel, le rabbin et linguiste Solomon Klonitsky-Klein (1868-1958), qui l'initie à l'étude des écrits bibliques ; mais Cohen a été nourri aussi de culture chrétienne par le biais de sa nourrice irlandaise, qui l'emmenait entendre la messe ; et plus tard, dans les années 90, il s'est retiré 5 ans dans un monastère bouddhiste, où il a été ordonné moine, sous le nom de Jikan ("le silencieux"). 
 
Les appartenances religieuses peuvent devenir des marqueurs identitaires qui servent de force excluante. Rien de tout cela chez Cohen, au contraire.
 
"Si l’on qualifie de religieux ou de pieux celui qui tente de découvrir son origine divine, alors je suis pieux : je suis né juif, voilà ma famille et ma tradition" dit-il, tout en ajoutant qu’ "une grande religion affirme les autres religions. Une grande culture affirme les autres cultures. Une grande nation affirme les autres nations, et un grand individu affirme les autres individus dans leur existence."
 
Aussi retrouvera-t-on dans les poèmes et les chansons de Leonard Cohen un vaste ensemble de sources issues de la Bible hébraïque et des Évangiles, certains thèmes traitant explicitement de la spiritualité qui anime ces "cris du coeur"  que lance le poète dans ses épreuves.
 
La quête de Dieu est ainsi comparée dans Book of Mercy (Livre de la Miséricorde), un recueil de cinquante "psaumes contemporains", à un "voyage",  une traversée des contingences, des limites, par delà lesquelles l'humain "retourne vers la lumière primordiale" d'où il est issu.
 
Le retrait, la solitude, le silence, sont pour Cohen de ces "expériences où l'humain doit faire face à l'Absolu". C'est là que s'amorce la quête de Dieu. Où l'on retrouve étonnamment dans la spiritualité de Cohen des accents du mystique rhénan du XIIIᵉ siècle Maître Eckhart (voir billet  Maître Eckhart ou la Voie du Rien ) qui dit à propos dans un de ses Entretiens spirituels  : "Dans la mesure où tu quittes toutes choses, dans cette même mesure, ni plus ni moins Dieu pénètre en toi avec tout ce qu’il a, comme tu as quitté complètement toutes choses qui sont en toi." 
 
Cohen, quant à lui, chante dans Came So Far For Beauty, album "Recent Songs" : "Je suis allé si loin pour la beauté / j'ai laissé tant de choses derrière moi..." 
 
Et dans le Livre de la Miséricorde (LM), évoquant la solitude, il écrit  : "Tu es béni, toi qui as donné à chaque homme un bouclier de solitude afin qu’il ne puisse t’oublier. Tu es la vérité de la solitude, et seul ton Nom s’adresse à elle. Fortifie ma solitude afin que je puisse être guéri en ton Nom." (LM, 9)
 
Solitude, silence : Il est aussi, écrit Cohen, "un temps pour bénir le Nom en l’absence de mots" .
 
Cette mystique du silence s'enracine dans certains versets de la Bible hébraïque, comme celui-ci, extrait d'un Psaume : « Pour toi, le silence est  louange » (Ps 65, 2) ;  et on lit dans le premier livre des Rois que Dieu lui-même séjourne au tréfonds du silence, Il n’est ni dans "le souffle, grand et fort, qui ébranle les montagnes, brise les rochers", ni dans "le séisme", ni dans "le feu", mais dans "la voix subtile du silence" (1R 19, 11-12).
 
Mais le chemin vers Dieu passe aussi par les fragilités, les blessures : "Il est une fissure en toute chose / c’est ainsi que la lumière y pénètre"  chante Leonard Cohen dans Anthem
 
Dans le Livre de la Miséricorde, Cohen apparente ce "rayon" à un chemin le long duquel "l’âme voyage en s’élevant", mais ce chemin, ce peut être aussi "un cri mêlé de larmes", la parole née d’"une blessure", ou de "l'effroi".
 
Ainsi, à l'instar du psalmiste qui chantait : "Dieu ! Je poétise pour toi un poème nouveau ; au luth, à la harpe, je te chante" (Ps 144, 9), Leonard Cohen poétise-t-il dans ses chansons des poèmes nouveaux, qui parlent au coeur de chacun, transmettant cette foi indéfectible, qu'aussi faible et miséreux, fragile, soit l'humain ; c'est à travers sa fragilité même — a crack, une fissure — que la lumière pénètre et le rattache à l'Absolu.
 
"Tu m'as permis de chanter, tu m'as soulevé, tu as donné à mon âme un rayon sur lequel voyager. Tu as raccourci la distance dans mon coeur. Tu as fait revenir les larmes à mes yeux. Tu m'as caché dans la montagne de ta parole. Tu as donné à la blessure une langue pour se guérir."
(LM, 19)
 
Jusqu'à sa toute fin, au moment de retourner "vers la lumière primordiale", Leonard Cohen aura chanté et transmis cette foi dans un mystère plus grand que lui. Dans son ultime album, paru seulement deux semaines avant sa mort, You want it Darker  (Tu veux que ce soit plus sombre), Cohen reprend le mot biblique "hineni", "me voici", qu'emploie Abraham au moment de se présenter devant Dieu :
 
"Tu veux que ce soit plus sombre
On éteint la flamme
Hineni Hineni
Je suis prêt, mon Seigneur"
 
 
Leonard Cohen

 

 

"Toute ma vie brisée est pour toi et toute ma gloire souillée est pour toi. Ne laisse pas l'étincelle de mon âme s'éteindre dans une égale et même tristesse. Laisse-moi élever la brisure vers toi..."

(LM, 49)

 

 

À suivre...

 

 



31/01/2024
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