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La destinée fulgurante du mathématicien Évariste Galois (II)

 J'ai lu récemment dans l'autobiographie du célèbre neurologue Oliver Sacks (1933 - 2015) cette appréciation d'un de ses professeurs : "Ira loin s'il cesse d'aller trop loin" : de fait Sacks est souvent allé aux extrêmes dans sa vie trépidante. Mais ces mots m'ont fait penser à Galois, qui n'a cessé d'aller trop loin, ou très loin ; sa vie très courte en est peut-être la contrepartie. Ce billet est une suite ou un complément du précédent billet consacré à  La destinée fulgurante du mathématicien Évariste Galois.
 
 
 
On a souvent comparé Évariste Galois à Rimbaud : même précocité du génie, même fulgurant destin, deux vies en quelque sorte brûlées. On pourrait ajouter que Galois a l’audace, l’impétuosité du jugement, le goût des actions d’éclat qu’on trouvera plus tard à Rimbaud.
 
En mathématiques, ses intuitions sont tellement neuves, et sa méthode si originale, que ses contemporains ne le comprennent pas.
Lorsque l’Académie refuse son Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux (mémoire par deux fois égaré enfin réceptionné par l’Académie, mais refusé), les deux mathématiciens, Poisson et Lacroix, qui ont rédigé le rapport portant un avis négatif commentent : « Ses raisonnements ne sont ni assez clairs ni assez développés pour que nous ayons pu juger de leur exactitude, et nous ne serions pas en état d’en donner une idée dans ce rapport ». Galois réplique vertement : « Poisson n’a pas voulu ou n’a pas pu comprendre », et qualifie ses évaluateurs de « stupides Zoïles », c’est-à-dire de critiques partiaux. 
 
Galois n’avait pas hésité non plus à écrire au « président de l’Institut de France » pour accuser — rien que ça — la commission du Grand Prix de mathématiques de partialité : « Comme ce problème [la résolubilité des équations] a paru, jusqu’ici, sinon impossible, du moins fort difficile aux géomètres, la commission d’examen jugea a priori que je ne pouvais avoir résolu ce problème, en premier lieu parce que je m’appelais Galois, de plus parce que j’étais étudiant. Et la commission égara mon mémoire ».
 
Dans un autre écrit Galois entreprend de fustiger tous les organes de l’ordre scientifique établi : il s’en prend au directeur de l’École normale, « en qui tout annonce les idées les plus étroites et la routine la plus complète », aux examinateurs du concours d’entrée à l’École polytechnique, aux académiciens eux-mêmes..., tout le monde en prend pour son grade — et tout cela proféré par un jeune homme, simple étudiant, qui n’a pas vingt ans ! — mais pour qui se prend-il ? pour Galois. Un Galois qui ne supporte pas la sottise, mais brûle d’impatience et rêve d’aller plus vite plus loin.
 
On retrouve ce Galois tout entier dans son engagement républicain au sein de la Société des Amis du Peuple, dans la foulée des Trois Glorieuses, après qu’il eût été exclu de Normale, pour avoir publié des pamphlets incendiaires au sein de l’École. Les temps sont agités, les émeutiers partout dans Paris pour défendre le peuple contre le pouvoir royal. Les Amis du Peuple, qui se réclament de la Première République — Robespierre, Marat, Saint-Just — fédèrent ces émeutes.
 
Galois, libre depuis qu’il a été exclu de l‘École, est de toutes les actions, mais se distingue par un coup d’éclat : le fameux toast porté « À Louis-Philippe », un poignard à la main. (Il dira pour sa défense avoir proféré : « À Louis-Philippe, s’il trahit ! », mais que la dernière partie de la phrase n’aurait pas été entendue dans le brouhaha général). Ce geste en tout cas ne passe pas inaperçu. Le nom de Galois commence à être cité dans la presse de l’époque. Galois est arrêté. Il sera acquitté et retrouve la liberté. Pas pour longtemps.
Le 14 juillet 1831, encore un coup d’éclat, il est à nouveau arrêté pour avoir porté illégalement l’uniforme de la Garde nationale, que Louis-Philippe venait de dissoudre. Il est condamné à six mois de prison et incarcéré à Sainte-Pélagie. Une fois de plus le nom de Galois est cité dans les Gazettes, non comme celui d’un mathématicien mais d’un révolutionnaire. 
 
Incarcéré entre juillet 1831 et mars 1832 à la prison de Sainte-Pélagie, Galois partage le lot commun des prisonniers, détenus de droit commun ou prisonniers politiques. Galois est jeune, il subit des brimades, est entraîné dans des beuveries… mais Raspail (président de la Société des Amis du Peuple, incarcéré dans la même prison), le décrit à Sainte-Pélagie comme un véritable « savant », « pensif et rêveur dans la cour de prison », tout occupé de mathématiques. C’est entre les murs de Sainte-Pélagie, que, réfléchissant « dans sa tête », il poursuit ses avancées mathématiques.
Jusqu’à cette dernière nuit avant le duel où, répétant « Je n’ai pas le temps », « Je n’ai pas le temps », il jette sur le papier ses dernières intuitions.
 
Galois est ainsi aussi engagé, virulent, tout entier, dans sa passion des mathématiques, que dans celle de l’ « amour violent » qu’il porte à la République. Tout comme le « double Rimbaud » (formule de Victor Segalen) est poète et aventurier, Galois est mathématicien et révolutionnaire : double passion dont une feuille couverte de calculs, rédigée à la prison Sainte-Pélagie, porte comme une trace émouvante, mêlant les pensées de mathématiques et de l'amour de la République :
 
(fa′)² + (x - a) (Fa′)²
... indivisible
... indivisibilité de la république
liberté, égalité, fraternité, ou la mort
 
 


12/09/2021
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