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De la souffrance au travail


Il est beaucoup question aujourd'hui, dans le monde de l'entreprise, de RPS. Ce nouveau sigle désigne les Risques PsychoSociaux.

Un effet "mode" -  pour reprendre le mot malheureux de l'ancien PDG de France Telecom  évoquant la vague de suicides dans son entreprise ?  Le mot est malheureux - la réalité qu'il désigne infiniment plus - mais les faits sont là  : il y a aujourd'hui, pas partout, mais en beaucoup de lieux, de la souffrance au travail. Ce n'est pas de mode qu'il s'agit, mais d'un modus vivendi brisé.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment en est-on arrivé là ? Le chemin est-il réversible ?

Il est certain que dans les années 1980, le mot "souffrance", généralement parlant, n'était pas associé à "travail" - si ce n'est dans l'expression anodine "travail en souffrance". Mais aujourd'hui,  il s'agit de "souffrance au travail".

Ce qui a changé ? A mon sens on peut faire quatre notations.

La première, c'est que si tant est que la souffrance existait, on n'avait pas les mots pour la dire. Une réalité pas nommée n'est pas bien reconnue comme réalité. En nommant les choses on ne les fait pas advenir mais on rend possible leur reconnaissance.

Deuxième notation : quand on a eu les mots il a fallu les dire. Cela ne va pas de soi. On s'est heurté dans l'entreprise (du côté des directions) à un phénomène de tabou. Les mots existent (les maux existent) mais il est interdit d'en parler. Preuve d'un début de conscience qui ne s'avoue pas.

Troisième notation : dans le même temps (les années 1980-1990) les choses changeaient dans la société. On y a observé une phase de psychologisation : la vie psychique prend le devant de la scène, devenant un objet de connaissance transversal à la biologie (via les neurosciences), à la philosophie et à la sociologie (via la thématique du "retour du sujet" ou de la "subjectivation").

Quatrième et dernière notation, décisive : il s'est passé aussi et surtout que le travail a considérablement changé dans les quinze dernières années, qui correspondent aux quinze ans de l'apparition d'internet. Les contraintes, les pressions, se sont intensifiées et ont été généralisées - au moment même où, alors que la société est de plus en plus préoccupée d' "autonomie" (un aspect de la problématique du "sujet"), dans les entreprises l'organisation du travail adaptée à l'ère internet tend à considérablement réduire, et non pas augmenter, les marges d'autonomie des opérateurs - et même des ingénieurs.

Le cocktail  est explosif.

Les suicides au travail, il y en a eu dans les années 1980-1990, mais pas dans les proportions effarantes qu'on voit de nos jours. Aujourd'hui, c'est le problème général de l'organisation du travail qui est posé.

La réalité de la souffrance au travail vient d'être reconnue. Des accords au niveau européen repris au plan national  (un accord, décisif, en 2008, le dernier il y a moins de trois mois) viennent d'être signés entre les partenaires sociaux - patronat et syndicats de salariés. La souffrance psychique au travail est qualifiée de "risque professionnel", que l'employeur a à charge de "prévenir".

Bien. Mais la prévention ne doit pas consister, à mon sens, en la simple mise en place d'un système d'alerte - genre celui déployé chez France Telecom, avec l' implication obligée (problématique du point de vue déontologique) des médecins du travail. La réponse n'est pas à la hauteur de l'enjeu.

L'enjeu, c'est de repenser l'organisation du travail en (re)mettant l'homme au coeur de cette organisation.

La pression augmente drastiquement ? Exemple de Renault : il faut réduire le délai entre lequel un nouveau modèle est conçu (cahier des charges) et la livraison sur le marché de 5 ans à moins de 4 ans, voire 3 ans ? Il ne suffit pas que le grand boss dise à son staff : on passe de 5 ans à 3 ans, puis le staff au sous-staff : on passe de 5 ans à 3 ans, puis etc. : au bout de la chaîne, on a les suicides qu'on sait.

L'on sait bien aujourd'hui (voir notation 3 : le développement des connaissances sur la vie psychique) que le point important - d'autant plus important qu'il y a intensification du travail - est le fait de disposer d'un contrôle sur son travail. Moins le contrôle est grand, plus forts sont les risques pour la santé au travail : ceci se vérifie pour l'opérateur, mais aussi pour l'ingénieur coincé dans le carcan de contraintes telles qu'il a la perception de ne pas pouvoir s'en sortir.

Le point clé c'est l'autonomie. Je ne sais pas s'il existe beaucoup d'autres chemins pour retrouver un certain plaisir au travail, le sentiment de se réaliser, le fun. Je sais en tout cas celui-là.

Oui, le travail est plus intense. Oui, les pressions sont plus fortes. Développons d'autant plus l'autonomie du "sujet" (comme on dit), au lieu de la réduire. C'est d'ailleurs l'intérêt bien compris de l'employeur : et s'il faisait confiance à l'intelligence de ses salariés ? Sait-on quelles contributions ils pourraient apporter à une organisation qui réconcilie l'homme avec le travail...

Tocqueville disait de la démocratie qu'elle "ne donne pas au peuple le gouvernement le plus habile, mais elle fait ce que le gouvernement le plus habile est souvent impuissant à créer ; elle répand dans tout le corps social une inquiète activité, une force surabondante, une énergie qui n'existent jamais sans elle, et qui, pour peu que les circonstances soient favorables, peuvent enfanter des merveilles..."

Ainsi de l'intelligence des salariés pour un travail où ils se réaliseraient au lieu de se détruire - si elle était convoquée.



02/06/2010
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