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La rencontre

 

 

Il y a tout juste un an étaient annoncées les premières mesures de confinement liées au Covid-19 — tout comme il y a bien longtemps le prophète Isaïe intimait semblablement : « Va, mon peuple, rentre chez toi et ferme sur toi les deux battants. Cache-toi un moment. » Mais depuis peu chacun guette, en même temps que l’arrivée du printemps, les premiers signes d’un retour espéré à la vraie vie. Il est bientôt  temps, veut-on croire, de rouvrir les deux battants !
 
 
 
La rencontre n’est pas un thème des plus porteurs en période de pandémie...
quand on ne s'invite plus, ou si peu,
quand on ne voyage plus, 
quand on ne va plus au cinéma, ni au théâtre, ou aux expositions,
quand on ne va plus au restaurant ni au café,
quand on avance masqué, en gardant ses distances vis-à-vis des autres,
— ce temps n’est guère propice aux rencontres.
Car telle est notre vie en ces jours, avec ses cahots : peu d’ardeur, partout des menaces, un repli forcé, un temps en suspens.
 
Et pourtant.
Pourtant, le temps des cerises n’est pas arrivé, mais l’arbre se prépare.
Le temps de nouvelles rencontres n'est pas revenu, mais il faut nous y préparer : en réactiver le désir, être prêt à la surprise. 
 
Car les rencontres, on ne peut, trop longtemps, en être privé : elles sont constitutives de la part la plus active de notre vie. Spinoza disait que « les rencontres constituent l’homme ». Dans son vocabulaire, il explicitait que les bonnes rencontres « augmentent notre puissance d’agir », et qu’il faut les rechercher comme telles (tandis que les mauvaises, dont il faut se garder, « diminuent notre puissance d’agir »). Il est bien question de notre puissance d’agir, c’est-à-dire de notre capacité à grandir, à travers les rencontres. L’absence de rencontres, en revanche, aboutit au déssèchement à long terme. Seuls, nous dépérissons. Toute une part de notre vie n’est plus alimentée. Aussi la  privation prolongée de rencontres est-elle dangereuse, surtout si l’on s’y habitue insidieusement. Ainsi faut-il nous préparer activement, avec le retour espéré des jours heureux, à nous rendre disponible à la rencontre du monde et des autres, nous mettre en disposition d’attente.
 
À l'instar d’André Breton écrivant dans L’Amour fou ces lignes magnifiques : « Aujourd’hui encore je n’attends rien que de ma seule disponibilité, que de cette soif d’errer à la rencontre de tout, dont je m’assure qu’elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles, comme si nous étions appelés à nous réunir soudain. J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. » 
 
Seule cette attente, ou éveil de l’attention, nous prépare à accueillir la plénitude de ce qu’offre la rencontre. J’aime ce texte, d’un écrivain romantique du XIXᵉ siècle, Senancour, que cite Jaccottet dans Paysages avec figures absentes :
 
« Si les fleurs n’étaient que belles sous nos yeux, elles séduiraient encore ; mais quelquefois leur parfum entraîne, comme une heureuse condition de l’existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime. Soit que j’aie cherché ces émanations invisibles, soit surtout qu’elles s’offrent, qu’elles surprennent, je les reçois comme une expression forte, mais précaire, d’une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret. » 
 
Les fleurs ne sont pas rien que belles…  Ainsi des rencontres, à qui est en état de se laisser surprendre.
 
 
 
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Cerisier dans le jardin


14/03/2021
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