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Voltaire et la perruque du père Adam

 

Voici presque une histoire de 1er avril, mais pas tout à fait, elle est authentique.

 

 
Voltaire a toujours été anti-clérical. Il n’est pas contre la religion (du moins tente-t-il de le faire croire, pour se ménager certaines relations auprès de dévôts possiblement influents), il est contre les représentants de la religion. Il est anti-clérical par opposition à l’influence et aux interventions du clergé dans la vie publique, en tant que ceux-ci, les clercs, les abbés, les évêques, le pape représentent le modèle religieux chrétien, partout encore dominant en Europe - qu’il s’agit de remplacer par le modèle philosophique, porté par Voltaire et les Encyclopédistes. 
 
Le clergé est donc la cible de Voltaire. Mais cela ne l’empêche pas d’entretenir de bonnes relations avec ses anciens maîtres jésuites (Voltaire a fait sa scolarité à Louis-le-Grand où enseignaient les jésuites) et avec certains abbés cultivés. Mieux. À Ferney, Voltaire s’adjoint les services d’un père jésuite, à domicile.
 
Ce père s’appelle le père Adam. Voltaire, bien sûr, ne manque pas de plaisanter sur son nom en le présentant comme « le premier et le dernier des hommes ». Il a fait venir ce jésuite de Dijon pour assurer la messe dans l’église qu’il a fait construire à Ferney : un peu de piété publique ne saurait nuire. Voltaire fera même ostensiblement ses Pâques la semaine sainte de 1768 dans son église, non sans provoquer un certain scandale, n’ayant pu s’empêcher de prendre la parole lui-même pendant la messe et administrer un sermon (philosophique) à "ses" paroissiens.
 
Mais le père Adam n’a pas pour seule fonction d’officier. Il est également préposé au jeu d’échecs.  Voltaire écrit dans sa correspondance : "Pensez-vous que j'ai un chapelain, le bon abbé Adam, uniquement pour faire ma partie d’échecs ?", et encore : "J'oubliais de vous dire que nous avons un jésuite qui nous dit la messe très proprement ; enfin c'est un jésuite dont un philosophe s'accommoderait." Il ajoute sur les échecs : "Je les aime, je me passionne et le père Adam qui est une bête m'y gagne sans cesse, sans pitié ! Tout a des bornes ! Pourquoi suis-je aux échecs et pour lui le dernier des hommes ? Tout a des bornes..."  
 
 
Voltaire jouant aux échecs avec le père AdamAda1311324-Jean_Huber_Voltaire_jouant_aux_échecs_avec_le_père_Adam.jpg
Jean Huber, Voltaire jouant aux échecs avec le père Adam, 1764
 
On l’a compris, le père Adam, bien que gagnant trop aux échecs, est précieux pour Voltaire. Mais voilà. Le père Adam est chauve, les petits matins sont froids à Ferney, et les prêtres ne sont pas autorisés à porter la perruque pour officier. Qu’à cela ne tienne, Voltaire en fait son affaire. L’évêque d’Annecy étant resté insensible aux demandes de dérogation, Voltaire s’adresse au pape ! par l’intermédiaire de son ami le cardinal de Bernis, ambassadeur à Rome, afin d’obtenir une dispense : « Je ne vous cacherai point que notre évêque d’Annecy est un fanatique, un homme à billets de confession, à refus de sacrements. […] En un mot, j’ai besoin de toute la plénitude du pouvoir apostolique pour coiffer celui qui me dit la messe. Je ne puis avoir d’autre aumônier que lui ; il est à moi depuis près de dix ans ; il me serait impossible d’en trouver un autre qui me convînt autant. Je vous aurai donc une très grande obligation Monseigneur, si vous daignez m’envoyer le plus tôt qu’il sera possible un beau bref à perruque. » Et le pape finit par envoyer le bref...
 
Contée comme cela, l’histoire ressemble un peu à un poisson d’avril [ j’écris ces lignes ce mercredi 1er avril ]. Elle est révélatrice du caractère moqueur de Voltaire, mais pas que. Voltaire, et c’est bien dans sa manière, fait d’une pierre deux coups. En même temps qu’il s’assure de la santé de son partenaire aux échecs, il fait savoir au public, par les relations qu’on ne manque pas de faire de l’épisode, que tout en combattant le clergé, il est bien aise d’avoir auprès de lui un jésuite, et est bien capable de manipuler la hiérarchie catholique, y compris le pape - à moins que le message ne soit un brin politique : afficher, pour semer un peu plus le trouble, ses bonnes relations avec le pape.
 
Voilà, c’est du Voltaire.
 
 
Adam (Le père) et Voltaire.jpg
Jean Huber, Un dîner de philosophes, 1772
Familier de Voltaire, Jean Huber a peint ici une scène rassemblant fictivement autour de Voltaire, au centre, levant la main comme pour imposer silence : à sa gauche, Diderot (qui n'a jamais mis les pieds à Ferney), d'Alembert, La Harpe ; à sa droite, Condorcet, en conversation avec le père Adam, assis bien droit, en perruque pour le dîner.


01/04/2015
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