voilacestdit

Après les retrouvailles d’une Notre-Dame éblouissante, sublimée (voir billet précédent Notre-Dame restaurée ), l’émotion me submerge à nouveau en découvrant, — temporairement exposé au musée de Cluny avec une quarantaine d’autres fragments du jubé médiéval retrouvé dans le sol de Notre-Dame de Paris —, cette bouleversante sculpture représentant le Christ reposant sur la joue gauche.

Christ reposant sur la joue gauche,

partie du jubé médiéval retrouvé dans le sol de Notre-Dame

Ce Christ endormi, qui appartenait probablement à une des scènes de la Passion représentées sur le jubé, la Mise au tombeau, bouleverse, car il semble ici, dans la position où les archéologues de Notre-Dame l’ont trouvé —  enfoui à 40 cm sous le dallage du transept avec mille autres fragments —, comme s’il attendait, sereinement, cette «mise au jour».

Reposant sur sa joue gauche, le Christ a les yeux fermés. Modeste par sa taille, la tête sculptée émeut par son expression. «Il y a une sérénité bouleversante qui se dégage», dit l’archéologue Christophe Besnier, qui l’a découvert en 2022 à Notre-Dame de Paris. La barbe est finement dessinée, les cheveux ondulent, rehaussés par la polychromie. «On a l’impression que les yeux vont bientôt s’ouvrir.»

Le visage du Christ exposé au musée de Cluny

après nettoyage et stabilisation de la polychromie du XIIIᵉ siècle

Ce visage émouvant, je l’ai retrouvé exposé au musée de Cluny, le musée national du Moyen Âge, avec d’autres fragments du jubé médiéval — accompagné de cette notice dans la vitrine : «En dépit de son état lacunaire, la sérénité de son expression, la sensibilité du modelé et l'émotion subtile qu’il dégage en font un sommet de la sculpture du XIIIᵉ siècle…» 

∗

∗  ∗

J’avais déjà entendu parler des fouilles menées en urgence entre février et mai 2022 par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) à la croisée du transept, et de la trouvaille exceptionnelle, totalement inattendue, de nombreux fragments du jubé médiéval, détruit au XVIIIᵉ siècle, enfouis sur place dans le sol.

J’en ai appris beaucoup plus en assistant  à une séance du séminaire de Patrick Boucheron, au Collège de France, «Notre-Dame de Paris, la cathédrale des savoirs», — consacrée en partie aux «fragments du jubé médiéval de Notre-Dame récemment mis au jour», en présence notamment de l'archéologue Christophe Besnier, qui a dirigé l'opération de fouilles.

Exposé de Christophe Besnier au Collège de France

Les fouilles se sont déroulées — dans un temps contraint, extrêmement resserré : quelques semaines seulement; — des conditions drastiques : une surface de 100 m² délimitée entre les bases des immenses échafaudages déjà dressés à l’intérieur; — autorisées qu’à 40 cm de profondeur. Les archéologues de l'INRAP ont finalement extrait, à leur grande surprise, 1 035 fragments du jubé, pesant de quelques grammes à plusieurs centaines de kilos…

Le chantier des fouilles à la croisée du transept

Extraction par une des grues d’une pièce monumentale

en passant par la trouée de la voûte.

Le plus gros bloc, un buste, pèse plus de 400 kilos. Mais ce qui est exceptionnel, c’est qu'un grand nombre de ces fragments extraits du sol sont peints, alors que la polychromie médiévale a quasiment disparu à Notre-Dame. Ces fragments polychromes, s'enthousiasme Besnier, «ce sont des merveilles… des bustes, des mains, des pieds, des visages, des animaux, des feuilles, des végétaux...   C'est un des aspects qui rend cette découverte exceptionnelle. Sur les plus de 1 000 fragments de sculptures, il y en a 700 qui ont gardé leur couleur du XIIIᵉ siècle! C'est rarissime de faire une telle découverte.» 

Fragment du décor de fond des scènes de la Passion

exposé au musée de Cluny.

Cette surface était ornée à l’origine d’une

polychromie bleu outremer semée d’étoiles dorées

Tous ces fragments retrouvés, parties de sculptures ou de décors, appartenaient au jubé médiéval, un mur monumental sculpté qui séparait le choeur de la nef, probablement mis en place vers 1220, dans les premières années de la construction de Notre-Dame. «Le jubé était central dans le dispositif général de la cathédrale. C’est ce que les fidèles voyaient en premier quand ils entraient dans l’édifice». Il était composé de trois éléments : une tribune, une clôture et une Crucifixion sculptée, et avait pour fonction de séparer les fidèles installés dans la nef, du chœur accessible au clergé et aux seigneurs jouissant de places réservées. Son nom tient des premiers mots de la prière « Jube, domine, benedicere » (« Daigne, Seigneur, bénir »), à l’origine récitée depuis la tribune du jubé.

Reconstitution du jubé médiéval de Notre-Dame

par Viollet-le-Duc à partir d’anciennes

notes manuscrites du XIVe siècle

Le jubé médiéval de Notre-Dame a été détruit en 1708, pour permettre le réaménagement complet du chœur dans le goût de l'époque et satisfaire à un voeu de Louis XIII. Les débris des sculptures et des décors détruits n'ont pas été dispersés, mais enfouis sur place, à l'instar de restes sacrés — étonnamment redécouverts à l'occasion des fouilles de 2022. L’expressivité des bustes et des visages, l’extraordinaire finesse des barbes, la richesse des couleurs, bleu, rouge, noir, feuille d’or, donnent une idée de la richesse et de la beauté du jubé médiéval.

Parmi les visages retrouvés, remarquable par son expressivité et l'émotion qu'il dégage, se trouve celui du Christ «reposant».   

J'ai appelé pour moi ce Christ «reposant», parce que la sérénité de son visage aux yeux clos me fait du bien.

Dans la nuit la plus sombre où nous sommes, qui est celle de nos vies immergées dans les malheurs du monde et les incertitudes du devenir de la planète, — mais aussi celle du solstice d'hiver et des fêtes de Noël qui annonce le retour de la Lumière, j'aime à me trouver accompagné par cette présence sereine miraculeusement «mise au jour»...

Dans l'espérance du renouveau qui s'annonce, je souhaite à tous de belles fêtes de Noël et une heureuse Nouvelle Année!

.